mardi 25 juin 2019

BIG BANG BLUES (OU L'ENVOL DU ROUGE-GORGE)

Tout commence toujours par un état des lieux.

Etat des lieux politique. Le drame... Comment ne pas redire ce qu'on dit, sait et répète depuis des lustres sur l'état du monde, le nôtre, ici en France, et, au final, ne pas endormir avant le paragraphe suivant ?

Tentons l'adaptation forcée à la marche néolibérale du monde vers le pire. Nos avenirs pourraient se décider bientôt dans deux empires, Etats-Unis d'Amérique ou Chine, deux sous-empires, la Russie et l'Europe, s'offrant comme alternatives, faiblarde pour la seconde car relayant le système américain. Pur produit des mondialisations passées et en cours, sur fond de dérégulations et de finance folle, de déflagrations militaires probables au moyen-orient et d'asphyxie de la planète.

C'est peu dire que tout va bien. Le pire est là, en somme.

Le grand Peuple de France a renoncé à continuer la grande France de la Révolution, du CNR et de l'indépendance; nous voilà donc une succursale hagarde et maladive de la world-economy, République en marche… forcée. L'alignement à coups de trique sur les pires conditions économiques et sociales, proches de l'Angleterre de Thatcher, est orchestré par ce club (LREM) de dealeurs de résignation et de fatalisme, écraseurs du collectif, encenseurs de l'individu omnipotent à l'anglo-saxonne. Avec, à sa tête, un divin Enfant aux rototos feutrés et hochets affutés, affamé de baisse drastique des normes sociales pour une France de nouveau "bankable".

… Et l'on eut un "Big Bang".

Il n'y a pas d'opposition à même de prendre le pouvoir, en France, en 2019. La droite ne peut plus s'opposer au divin Enfant, puisque désormais il est la droite. La social-démocratie lui a servi la soupe, vendant son âme et son histoire à l'économie de marché dérégulatrice, le PCF perdant des décennies précieuses à essayer, vainement, de la ramener à lui. Ah, la bonne vieille union de la gauche. Et le grand Peuple de France ne croit plus en rien qu'en une possibilité vague, à la marge, de se tirer du marasme ambiant en démissionnant de sa citoyenneté, en ne votant plus.
Droite broutée, gauche éteinte, Peuple déshérent : le divin Enfant a-t-il donc la voie libre ?

Scénario contre lequel s'est dressé un bouillonnant natif de Tanger. Il n'y avait plus de gauche ? On fédèrerait le Peuple, l'animation en serait confiée à La France Insoumise que le tangérois créé de toutes pièces en 2016. On n'imagine déjà plus, fuite horripilante du temps et des mémoires, que sur un programme social, voire éco-socialiste, ne faisant pas une fois mention de la gauche, le tangérois obtint 7 millions de voix le 23 avril 2017.

Depuis, toute la Gaule est envahie. Toute ? Non, mais pas loin. Le divin Enfant use de rouleaux compresseurs et moissonneuses-batteuses pour sa révolution conservatrice, les oppositions, trop faibles pour arrêter le moteur fou, sont renvoyées par les élections à des calendes lointaines. Les espoirs de redresser la barre s'éloignent, tout le monde s'énerve, dans l'impatience de ramener le divin Enfant en parc fermé et l'impuissance d'y arriver. Le tangérois éructe, beaucoup, c'est un peu son truc; près de lui, on plie bagage du mouvement "gazeux" (sans qu'on puisse avoir idée de l'ampleur du phénomène), ni très près ni trop loin de lui, une Députée de son groupe, Clémentine Autain, se ronge sang et ongles et, de lassitude, renverse la table. On est le 26 mai au soir, sur TF1 la Députée appelle à un "big bang".

Par Big Bang (« Grand Boum »), on désigne souvent un choc explosif à même de remettre à l'heure des pendules déréglées, ou de dézinguer des systèmes grippés afin d'en initier des nouveaux. Les mots ont un sens : l'appel au big bang de ma Députée débordait le mouvement qui l'héberge à l'Assemblée; au-delà de la contestation de son fonctionnement interne, jugé responsable de mauvais résultats électoraux, l'appel se voulait surtout une catharsis régénérative de la gauche unie, avec retour du mouvement gazeux dans le pot commun : l'issue à son problème ne pouvait que lui être extérieure, le big bang recueillerait les régiments hagards de l'insoumission perdue pour les ramener à la maison "gauche".

La critique est un nutriment intellectuel et politique vital; le fonctionnement gazeux privilégie l'action, non sans raison tant les périls accélérés par le divin Enfant sont immenses, mais il prétend en exempter le Mouvement : la décision d'agir débattue, amendée, et adoptée, quelle utilité de se retourner en plein champ de bataille pour s'interroger sur la couleur des guêtres ?
Mais le besoin critique est sans justification; il est dans l'esprit et s'impose à nous, il fait corps avec l'histoire du mouvement social. La sortie de ma Députée, le 26 mai au soir, était justifiée de ce simple point de vue.

Le problème est venu après. Le big bang s'appuie sur des apories internes pour renvoyer à l'externe; de la critique nécessaire de son contenu, on passait, vite, trop vite, aux funérailles de l'objet lui-même, et à l'appel à autre-chose. Deux présomptions : la désintégration du Mouvement gazeux et l'évidence de gauche. Deux erreurs.

. Le mouvement gazeux est ballotté, à la façon du vaisseau de l'admirable "Bluff" de Fauquemberg (Stock), mais possède assez de réserves pour passer au travers des joutes parlementaires, élections partielles, débats, bannissements, désertions ou exclusions plus ou moins assumées. Il peut même passer par la case cabine téléphonique pour retourner à l'état de citerne, nul ne peut en préjuger : un réseau militant d'ampleur invérifiable a été biberonné à une action politique nouvelle, dite "auto-organisation" et en a fait son miel, 17 députés nationaux, 6 européens forment une structure productrice de son propre maintien. On ne parie pas à la légère sur la disparition d'une telle construction, sauf à la pousser au dépassement, au maintien, au défi. Ce qui arrive. Exacts contraires de l'effet recherché.
. Le big bang est à la gauche ce que la purée est au pois. Combien de big bangs au compteur de l'histoire de gauche depuis 30 ans ? Au moins 5, pour passer du doute qui ronge à un nouveau départ, et arriver à : rien, sinon un historique de cafouillages confus, le dernier module s'étant appelé les "collectifs anti-libéraux".
. Et puis, la gauche… aucun parti-pris, juste une évidence historique : l'image de la gauche est aujourd'hui consubstantielle de ses capitulations devant le néolibéralisme et de ses ralliements, rien qui attire, donne envie, mobilise. Le plus grand mouvement de gauche aujourd'hui s'appelle probablement l'abstention électorale.

Fallait-il ne rien faire après les élections européennes ? Non, sans doute, mais il fallait prendre le temps et le recul, apprécier les spécificités d'une élection européenne, taire de l'impatience et préférer une réflexion de long cours à l'immédiateté d'une réaction inévitablement confuse.

Et pourtant, Clémentine Autain.

Décalage ou surdité politique, naïveté béate, qui sait.
Qu'importait tout cela il y a peu de jours, à Villepinte, en seine saint Denis, où la Députée rencontrait des enseignant(e)s et parents d'élèves pour parler de la loi Blanquer; qu'importe, quand elle arpente les cités des quartiers nord de Sevran, soutient les salarié(e)s en lutte, intervient sur le RER, en bref, quand elle fait son travail. La Députée, qu'on rattache trop facilement à la boboïtude de gauche, est connue, écoute, informe, patiemment, dans une circonscription saignée à blanc par l'inégalité sociale et territoriale; tout cela, même eu égard à des désaccords politiques de fond et de forme, ne peut passer pour roupie de sansonnet.

Clémentine n'est pas à la France Insoumise (si elle y est encore à l'heure où j'écris) pour regarder passer les trains, ni pour jouer au pot de fleurs; elle appartient à ce courant de gauche radicale et libertaire qui, constatant ses affinités avec un milieu politique ambiant, priorise une dynamique commune avec lui et en fait son point d'ancrage (ce qui s'est passé, sans doute, à la FI depuis 2017), ou y détecte trop de départs de feux, et reprend le fil de son projet politique où elle l'avait mis de côté (pas tant que ça, pour autant).
Ce qui est en train d'arriver, laissant l'auteur de ces lignes sur un arrière-goût de beurre rance, d'huile de foie de morue et de vinaigre blanc mélangés.

Qu'on veuille bien entendre que la mise sur orbite de ma Députée, par son prédécesseur François Asensi, m'avait à ce point indisposé que j'en avais alerté une autorité du PG, en 2016, au cours des premiers échanges sur les futures législatives post-présidentielles. Que, très vite après son élection, et indépendamment de sa labellisation FI autant que de son exclusion de facto du groupe communiste, m'était apparue l'importance de cette Femme dans une circonscription comme la nôtre; et presque le privilège d'y compter l'alliage d'une bosseuse "de terrain" et d'une intellectuelle de haut vol, dans une circonscription en attente de qualité, d'exception, de surprise, et finalement d'espoir, toutes choses dont le capitalisme l'a privée depuis des décennies.

En dépit de l'empoisonnement graduel des relations entre elle, son équipe, et les militants locaux de la FI, je suis resté sur l'exigence de ne pas rater l'expérience : il fallait s'arrimer à Clémentine et l'arrimer à nous. Exigence aujourd'hui sanctionnée par une déroute historique : le rouge-gorge de la 11ème circo de seine Saint-Denis a pris un envol baroque, indétectable par mes radars probablement obsolètes. A moins que son itinéraire politique à elle souffre d'obsolescence programmée, je ne lui en ferai pas le procès, seule l'Histoire, avec nous en témoins brûlants, asséchés et hébétés, en tirera son enseignement.

Place à la discussion, aux débats, la matière est dense, la Députée est là, le capitalisme ne ménagera rien ni personne : on n'a, au minimum, que des raisons d'échanger.










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