mardi 8 décembre 2009

Arbre fruitier, branche sèche

"Douceur du marché
Violence de la pitié"


Cher Marceau

Ce matin l'esprit a flâné; un peu valdingué aussi, comme beaucoup d'autres matins. Un ciel couvert, une pluie insistante sur les jardins, le spectacle tranquille de la Mère et du Fils qui déjeunent, voilà que le rêve s'enclenche : arrêt derechef des compteurs, temps rebâti au pied d'un arbre, assis sous les rayons d'un soleil timide. Deux yeux à la conquête du plus petit intérêt possible, capteurs de rien ou presque, deux oreilles fermées à tout ce qui n'est pas le vent ou la cavalcade d'un chat sur la pelouse; une sonnerie, l'heure d'un verre en commun autour d'une table.

Mais voilà... Un mort illustre du 8 décembre prophétisait il y a bientôt 40 ans que le rêve était fini. Ah, le canaillou. Non, non, illustre Marceau ! (Oui, toi, illustre aussi. Tu l'eûs été plus en tombant sous les balles d'un déséquilibré au pied de ton immeuble, comme Lennon, mais nul n'est parfait...) Et donc à toi, Marceau, illustrissime inconnu cher à mon passé militant, je précise : il ne s'agissait pas de la mort du rêve socialiste. Non. Plus large, plus complexe. En
1970, l'artiste croulant sous les devises gave ses inconditionnels d'états d'âmes choisis, dans un morceau qu'il intitule "God"; en gros, j'étais un monstre sacré de l'industrie du spectacle, maintenant rangez vos rêves au vestiaire, naphtaline conseillée : je suis moi-même.
C'était deux ans à peine après 1968, six ans à peine avant le démarrage de la mondialisation économique. Etait-il à ce point visionnaire qu'il eut la préscience de deux fins, celle du mythe-déluge d'imaginaire bâti autour de son orchestre, celle aussi de vingt-cinq ans d'après-guerre, prélude à l'entrée dans le tunnel mondialisateur?

Je ne suis pas loin de le penser. Parce que c'était un artiste, précisément, un barde immense et attachant. Le seul à ma connaissance qui, arrivé à trente ans plus riche qu'il l'avait jamais espéré, évoquait les ouvriers, les petits, leurs écrasements, leurs humiliations, comme un froid et triomphant "je ne les oublie pas". Ca s'appelait "Working class Hero".

Je suis sous l'arbre, le Livre à la main.
La chape de fatigue des jours anciens de confusions et d'angoisses se pulvérise dans l'air.
L'envie d'ouvrir les yeux à nouveau et de les refermer à la plus petite envie, sans la dictée du temps.

Tu vois, Marceau, le rêve fini recommence toujours.

dimanche 15 novembre 2009

MISSILE DE CROISIERE

Salut Marceau !
On se retrouve après des mois...

On n'imagine pas tout ce qui peut se passer dans une Ville où il ne se passe rien.
Enfin, presque rien.
Le cadre : Sevran. Ville de banlieue, éligible au rang de chair à pâté pour la crise endémique du capitalisme. D'un côté : quartier pavillonnaire, canal, centre-ville; centre commercial, des PME, des Cités ghettos de l'autre. Avec le chaos, on devine de quel côté, plein de jeunes sans emploi ni ressources, une population dans le rouge économiquement et socialement et des finances locales dans le rouge-vif.

Donc, il ne se passe rien, sauf...
... Sauf quand les Cités implosent, sauf quand un Maire élu en 2001 (il en a déjà été question ici) ne se résout pas à diriger une ville mourante et en asphyxie financière. Huit ans après son arrivée, la Ville ne meurt plus, ses finances sont toujours fragiles mais la Ville commence à croire en l'avenir. Travail local titanesque, offensive un peu folle, irraisonnée, pour l'inclure dans les plans départementaux et nationaux de redynamisation des banlieues...
...Yes, he can, en quelque sorte.
Pardon, Marceau, ça signifie, en gros : oui, il (le Maire et son équipe)l'a fait.

Le reste est peu de chose comparé à ce qui précède, mais ça a bien occupé les mois d'octobre et de novembre : l'éternel jeune Maire, qui fut élevé au biberon post-bolchévique, se sentait depuis longtemps dans la maison communiste comme la chèvre chez Monsieur Seguin. On la fait courte : un beau matin il signifia son départ au taulier Colonel Fabien (à la taulière, précisément)et alla se lover dans des bras verts et attendris. Traduction : à l'approche des élections régionales, l'ex-communiste a déménagé chez Europe Ecologie.

Gasp.
La chèvre de M. Seguin s'égarait, se perdait, allait vendre son Ame à des loups écolos souriants qui allaient le hacher-menu pour en faire du transgénique Monsanto, ou je ne sais quoi d'encore plus satanique.
Notre mission, si nous l'acceptions, était claire : nous, qui pourfendons depuis des lustres ce tas de gugusses verts qui te vendent leurs petits oiseaux contre la conversion de tes idées socialistes en bouillabaisse libérale, nous donc, allions ramener notre chèvre chez le Camarade Seguin. Allez, ouste, finie la récré, retour à la maison-mère faucille et marteau, dictature du prolétariat à tous les étages et mur de Berlin transposable entre la place Gaston Bussière et la place Crétier. Sauver le soldat S.G. malgré lui. Si notre mission échouait, le département d'Etat nierait avoir eu connaissance de nos agissements.

Pfff... Je rigole aujourd'hui, Marceau, plus qu'il y a quelques jours.
C'est que, pour moi, ces gugusses verts n'ont jamais incarné de grandeur politique. Sérieux, Marceau, la cause écologiste, le rééquilibrage de la vie en faveur de la préservation de la planète, était visionnaire et juste, mais ils l'accompagnaient d'un bagage idéologique qui te faisait préférer un EPR à un champ de patates douces. C'est dire. Individualisme à tout crin, opposition aux Etats au profit des régions, gloussements attendris devant la mondialisation libérale et mariage en grande pompe avec l'anti-totalitarisme post-soviétique façon gauche-caviar, théories éducatives inchangées depuis 1968 (le fameux "L'enfant au centre du système éducatif" de Meirieu), c'était lourd, lourd...

Et puis, patatras, j'ai des convictions. Sans études ni culture scientifique, sans doute pourquoi je m'y accroche mordicus comme on s'accroche à l'unique et petit pécule qu'on possède. De ces convictions-planches de salut qui aident à se repérer dans un univers difficile, faute de mieux, et, au détour d'une envolée lyrique, aident à exister. A compter, si peu que ce soit.
Je perçois trop l'évidence du collectif, terre d'accueil d'un individu libre et indépendant, pour accepter l'individualisme qui voit l'être humain en perpétuelle et ivre conquête du monde et des autres; j'ai trop accepté l'idée d'un individu universel au sein d'une patrie républicaine et universaliste pour en accepter l'enfermement dans des régions-alvéoles, terreaux de féodalité; l'opposition aux systèmes totalitaires a été mon creuset, effet de ma vie de fils d'un rescapé des pays de l'est dont la famille restait prisonnière de l'Ubu/Kafka stalinien; mais le rescapé polonais qui rêvait de capitalisme occidental en fut une victime, sans doute la raison pour laquelle l'anti-totalitarisme relativisant le capitalisme m'a toujours paru une ignominie.
Et le non-régionaliste ne peut occulter cette idéologie mille fois funeste, sussurée timidement aujourd'hui par Europe Ecologie quand c'était un étendard il y a encore peu, d'une Europe-coalition de régions libérées des jougs nationaux et étatiques.

Je ne sais pas le dire autrement, ni mieux.
Je sais, tant pis pour moi. Ne hausse pas les épaules comme ça, Marceau, ça arrange quoi? J'ai même adhéré à un jeune Parti, numériquement faible, avec une poignée de militants déjà à bout de souffle et des finances déjà au plus bas. Mais, bien pire : en contradiction frontale avec le choix du Maire et de ses proches... dont mon propre Fils.

Le fracas de l'annonce est aujourd'hui retombé sur une Ville tétanisée, si pauvre en échanges intellectuels et politiques et si incapable de saisir l'événement au bond pour, enfin, générer du débat ou de la querelle. Il y avait matière. L'agoniste majeur de l'affaire s'est contenté d'articles de journaux et d'un courrier dans les boîtes aux lettres; ville toujours aussi vouée à la pauvreté entretenue, comme mue par la confiance et la bienveillance mutiques envers son magistrat. Prochaines étapes : la campagne électorale, l'élection régionale.
En attendant : silence.

Du coup, mes oreilles résonnent de deux musiques dissonantes, chacune m'est chère, et mon souci obsessionnel du rapprochement m'a fait les unir pour n'en faire plus qu'une, et aboutir à une idée définitive sur ma petite et modeste pratique militante.

La première est une voisine de palier, une affinité biologique particulière si chère et proche, une sarabande, une fanfare qui zim-boume à chaque double-croche. Elle m'enjoint de troquer mon rétroviseur - en clair, mes préjugés - contre la vision de ce qui vient : une nouvelle écologie politique, subvertie de l'intérieur par ses nouveaux ralliés, reprenant le corpus "de gauche" et cassant les vieilles machines politiques structurées à la bolchévique (dont la mienne...)pour amener une gauche nouvelle majoritairement écolo au pouvoir via des élections primaires.
... Et bing, voilà le Chevalier Bayard déplumé, privé de peurs, de reproches, et de ses toiles d'araignée mythologiques et séculaires : la vieille République incantatoire, le sauvageon, Lénine, la Mère Denis, le nuage de Tchernobyl repoussé par la ligne Maginot... Seule issue : le refuge dans un éco-quartier du Larzac.
L'exécutant de cette première musique, part si intégrante de moi-même, n'imagine pas l'ambivalence étrange de sa partition... Non que sa promesse de renouveau ne me soit chère, après tout c'est son avenir, elle est le terrain de son épanouissement et de sa réalisation, rien qui puisse importer plus; et l'urgence de sauver ce qui peut l'être devrait tout primer. Mais voilà. Le zim-boum, la fougue, l'enthousiasme, on efface tout, on tourne les pages, "ring out the old-ring in the new" et fermez le ban... Est-ce ma partoche décalée, est-ce mon exacerbation maladive, est-ce ma peur d'enfant face à la certitude sans borne et l'absence de tout doute, face à toute marche forcée... Quelque chose me pousse à crier au danger face à un scénario aussi conquérant et parfait.
Voilà que je deviens Jérémie sur les murailles de Jerusalem... Moi. Un comble.
Ou bien est-ce la réalisation de cette infériorité extrême, autrement appelée solitude, pour exprimer des choses si intimement ressenties ?

Et puis, Marceau, une deuxième musique me met en garde. Imagine la scène : mon agit-propard et moi, face à face. Distribuant des tracts l'un face à l'autre ou contre l'autre. Recouvrant nos affiches respectives. Chacun enjoint d'approuver des discours enflammés contre nos deux camps respectifs... Intenable, Marceau, en tout cas pour moi. Raison pour laquelle, mon politiste ayant dégainé le premier et puisqu'il ne peut y avoir de place pour deux dans l'arène, je me dois de lui laisser la place. La musique de fond ? Une béatitude comme Mozart savait bien en faire, mêlée à la Pathétique de Beethoven. Quelque chose de suffisant pour aimer vivre et panser/penser. Qu'une défaite supplémentaire de la pensée ne soit pas une défaite du pansement, et vice-versa.

Voilà, je me mets en retrait du si petit théâtre où j'agitais mon hochet néo-jauressien. Je m'asseois et regarde la roue tourner, tourner, j'aime la voir tourner; je ne suis plus dans le manège, je le laisse aller.
C'est du John Lennon.

dimanche 18 octobre 2009

Des primaires déprimantes (2)

LES PRIMAIRES, UN VOL AU VENT FUTURISTE CONTRE LA MISSION ET LES DEVOIRS DE LA GAUCHE


Alors que l’interrogation sur l’avenir des gauches est dans toutes les têtes, d’aucuns ne voient d’avenir que dans des élections primaires. Ils font l’économie de tout questionnement sur la perte par une certaine gauche, socialiste en particulier, de sa substance politique, et sur les moyens d’un retour à ses valeurs : l’ombre plutôt que la proie, délaisser le fond du problème au bénéfice d’une pure mécanique électorale, tel est le lourd soupçon qui pèse sur cette vague futuriste des primaires.

Côté PS, mais aussi parmi des militants en rupture de Partis tentés par des courants périphériques, ou jeunes non-organisés, est occulté le fourvoiement social-démocrate, libéral, obsédé de pragmatisme, qui a, aujourd’hui et pour longtemps, disqualifié la gauche non-communiste de l'après-guerre froide. Un refus du devoir de mémoire, accompagné de la désertion d’un front pourtant capital : l'entreprise et les salariés. Un front qui devrait capter la combativité et l’intelligence de la gauche, au lieu de quoi il n’est que sur-gestion des enjeux électoraux, présidentiel en particulier, à travers les primaires... « Primaires à gauche », et, simultanément, esquive de l’impératif d’accompagnement du monde du travail : on n’est donc pas au bout des logiques d’échec, et, à lui imposer ainsi de marcher sur la tête, on paraît courir après l’effondrement définitif de la gauche.

En marge des Partis, parmi les militants autonomes partisans des primaires, subsistent des vitalités de gauche qu’il faut saluer. Dans les banlieues, quartiers et associations, ils inscrivent au palmarès de la gauche de fortes efficacités locales, un véritable honneur, mais autant de pansements au capitalisme qui n’accouchent d’aucun modèle politique général.
Tirant la leçon de leur désarmement théorique et idéologique, des élu(e)s et associatifs de gauche se sont emparés avec brio du seul domaine que la mondialisation libérale leur a abandonné : le sauve qui peut.
Sauve qui peut le collectif, la ville, le chômage. Défense de valeurs sociales et culturelles, recherche d'un modèle urbain équilibré : une gauche "de terrain" réalise des miracles, contient les digues économiques, sociales et urbaines à bout de bras et de volonté; l’incendie de la tour La Pérouse à Sevran (seine saint Denis) en août dernier, qui a fait cinq victimes, a montré les trésors de mobilisation et d’ingéniosité de cette « France d’en bas » face à l’essentiel, l’inégalité des richesses et des territoires produisant des drames intolérables. Des milliers d'exemplarités locales se déploient ainsi, sans qu’en émerge un modèle ni une exemplarité de gauche.

Parallèlement, dans et pour l’entreprise : rien, ou presque. Au milieu d’une précarité sociale en généralisation, les salarié(e)s, en particulier bénéficiaires d'un CDI, doivent se convaincre de leurs privilèges : ils travaillent, leur salaire "tombe". Fermez le ban. Tant et tant de politiques de gauche imbibés de doxa libérale ont fait à leur tour de l'entreprise une vache sacrée, et traînent derrière eux trop de mauvaise conscience du chômage de masse pour ne pas éprouver de lâche soulagement en sachant tous les matins des salarié(e)s en route vers les entreprises… et en les y oubliant.

Activisme de « terrain » d’un côté, abandon de l’entreprise et du salariat de l’autre, refuge dans la combinazione version "primaires" : ainsi s’abîme la gauche.

Le combat contre le chômage doit évidemment être une priorité absolue. Il faut recréer de l'industrie et des emplois salariés. Mais il faut aussi que la vie dans l’entreprise change; trop peu d' écharpes tricolores d'élu(e) s fréquentent les sorties d'entreprises pour parler aux salarié(e)s, constater combien, sous la pression économique, la qualité du travail, leur moral, se dégradent, combien se creuse l'indifférence du monde du travail à l'égard d'un monde politique de gauche oublieux de ses devoirs, et combien les salarié(e)s s'en remettent à l'idéologie dominante pour se tracer un horizon : compassion pour l’entreprise puis investissement total, au risque d'y laisser leur vie privée, adhésion à l'individualisme, la compétition ressentie comme "inévitable", le discours de concurrence s'introduisant partout. Ainsi les salarié(e)s se sentent délié(e)s de leurs obligations citoyennes et plus largement politiques. L’effondrement qui guette la gauche, s'il en reste une en dehors de l'"autre gauche", c'est celle de la fermeture définitive de sa base sociale théorique, quoique naturelle, à son discours et à elle-même.

La gauche officielle a pourtant eu une occasion d’entendre un message plein de sens, pendant la crise du CPE : une forte majorité de jeunes, sondés sur leurs attentes quant à l’entreprise, exprimaient le vœu sans nuance d’intégrer le secteur public. Pareille défiance à l’égard du privé de la part des futurs constructeurs ("acteurs", disent nos modernes) de l’économie aurait dû attirer l’attention générale ; il n’en a rien été, ni évidemment côté Medef et Croissance Plus, ni du côté des hiérarques socialistes, ni chez les « autonomes » de gauche.


Il y a pire : hormis des sociologues ou sondagiers appointés, plus personne dans la gauche officielle ne porte le fer contre le malaise salarial, hormis pour réclamer plus de pouvoir d’achat sans paraître y croire une minute. La consommation de psychotropes n'est que statistique récurrente, comme les dépressions en chaîne, le temps et les moyens de voir venir les suicides liés au travail sont un luxe que nul n'est plus en mesure de s'offrir. Après tout, tant qu'il y a production, il y a de la vie et de l'espoir.
... Et puis, les salarié(e)s ont des syndicats. Laissons-les se débrouiller entre eux, tel est en substance le message de nombre de hiérarques "de gauche", qui oublient le faible nombre de syndiqué(e)s, le surmenage des élu(e)s, leur liberté syndicale à conquérir tous les jours face à des DRH oublieux de toute souplesse.

Trop d’intériorisation du chômage de masse, à laquelle elle a contribué, a fait déserter la gauche de l’entreprise, son champ de bataille naturel.

Il s’est trouvé des candidats aux élections européennes pour aller aux portes d'entreprises menacées de fermeture ou de restructuration, et dresser des passerelles entre les discours des salarié(e)s et les leurs. Pour passer aussi prendre la température sur des sites non-menacés, s'intéresser à l'inquiétante expansion des nouvelles industries du tertiaire, telles les plateaux d'appel, productrices de précarité, de caporalisme social, d'humiliations et de stress, pour des salaires dérisoires.
C’est cette voie qu’il faut poursuivre, de façon méthodique et sans attendre des élections. L'exigence d'amélioration du travail, les rapports de force dans l'entreprise, doivent rester un apport prioritaire dans le discours économique de gauche. Pas d’autre moyen pour qu’elle recommence à unir à elle tant de ses électeurs qui s’en sont détournés par crainte de l'abandon face à une économie anxiogène et parfois meurtrière.

Ainsi les choix électoraux majeurs ne reposeront plus sur des débats techniques mais sur un authentique contenu politique.

C'est ce à quoi doit se consacrer une base politique de gauche, plutôt qu'à s'abîmer à gâcher du temps et de l'énergie à déterminer les formes de la désignation d'un candidat à la présidentielle via des « Primaires ». Une certaine gauche ne doit plus aspirer à sa disparition mais à repenser un modèle de gauche. Et il y a du travail.

lundi 28 septembre 2009

Des primaires (déprimantes?)

"Tant qu'il y a de la marche, il y aura du marché"

Il n'est plus de gauche que spectrale, fond sur l'Europe le fantôme de ce qui fut une grandeur humaine : de hautes idées solidaires et fraternelles innervant des Peuples, une fierté individuelle collective et contagieuse de les servir et les défendre ensemble, qui réalisait la soudure de tant de gauches différentes, le rassemblement républicain et l'appropriation de la Nation... Tant de fourvoiement social-démocrate, libéral, obsédé de pragmatisme a pour longtemps disqualifié la gauche de l'après-guerre froide; celle-ci, en France en tout cas, n'en a pas eu assez : en sur-gérant les enjeux électoraux, présidentiel en particulier, en désertant un front capital qui devrait capter sa combativité et son intelligence, l'entreprise, la gauche française court toujours après son effondrement définitif.

Tirant la leçon de leur désarmement théorique et idéologique, certaines gauches se sont emparées avec brio du seul domaine que la mondialisation libérale leur a concédé : le sauve qui peut.
Sauve qui peut la ville, sauve qui peut le chômage. La défense du patrimoine social et culturel, fruits de deux siècles de construction héroïque, la recherche d'un modèle urbain équilibré, se heurtent à un courant compulsif, attisé par le capitalisme, d'individualisme et d'insouciance de l'environnement naturel et humain, menaçant la solidarité, la répartition, la recherche mordicus et simultanée de bonheurs individuels et de solutions collectives aux problématiques et contradictions de la vie. C'est ainsi qu'une gauche "de terrain" réalise des miracles, contient les digues économiques, sociales et urbaines à bout de bras et de volonté; c'est ainsi que des milliers d'exemplarités locales sont et demeurent leur propre fin, et s'interdisent de constituer un modèle. Car pour une gauche mentalement vaincue et désertée par la fierté, tout modèle est par avance suspect.

Parallèlement, dans une précarité sociale en généralisation, les salarié(e)s, en particulier bénéficiaires d'un CDI, se convainquent de leurs privilèges : après tout, ils travaillent, leur salaire "tombe". Tant et tant de politiques de gauche ont assez ingurgité la doxa libérale des années 80 qui a fait de l'entreprise une vache sacrée, ils ont trop sur la conscience le chômage de masse, pour ne pas éprouver de lâche soulagement, muet, honteux, en sachant tous les matins des salarié(e)s en route vers les entreprises. Manuel Valls le rappelait encore, le jour d'un suicide à France Télécom : "C'est l'entreprise qui créé la richesse". Fermons le ban.

Nul doute que le combat contre le chômage soit une priorité absolue, pas moins de doute qu'il faille recréer de l'industrie et des emplois salariés; encore moins de doute que trop peu d' écharpes tricolores d'élu(e) s fréquentent les sorties d'entreprises, pour parler aux salarié(e)s, constater combien, sous la pression économique, la qualité du travail, leur moral, se dégradent, combien se creuse l'indifférence à l'égard d'un monde politique de gauche oublieux de ses devoirs, et combien les salarié(e)s s'en remettent à l'idéologie dominante, celle de la compassion puis de l'investissement total dans l'entreprise au risque d'y laisser leur vie privée, pour se tracer un horizon, se sentant déliés de leurs obligations citoyennes et plus largement politiques. L''effondrement qui guette la gauche, s'il en reste une en dehors des composantes de l'"autre gauche", c'est celle de la non-perception définitive de son discours par sa propre base sociale théorique.

Pire : hormis des sociologues ou sondagiers apointés, plus personne dans la gauche officielle ne se donne la peine d'émettre un diagnostic de malaise social, la consommation de psychotropes n'est que statistique récurrente, comme les dépressions en chaîne, le temps et les moyens de voir venir les suicides liés au travail sont un luxe que nul n'est plus en mesure de s'offrir. Après tout, tant qu'il y a production, il y a de la vie et de l'espoir.
... Et puis, les salarié(e)s ont des syndicats. Laissons-les se débrouiller entre eux, tel est en substance le message de nombre de hiérarques "de gauche", qui oublient le faible nombre de syndiqué(e)s, le surmenage des élu(e)s, leur liberté syndicale à conquérir tous les jours face à des DRH de moins en moins souples.

Un signal fort est venu des élections européennes, quand des candidat(e)s, en particulier de "l'autre gauche", sont allés aux portes d'entreprises menacées de fermeture ou de restructuration forte pour dresser des passerelles entre les discours des salarié(e)s et les leurs. En passant par des sites non-menacés. En s'intéressant à l'inquiétante expansion des nouvelles industries du tertiaire, telles les plateaux d'appel, productrices de précarité, de caporalisme social, d'humilations et de stress, pour des salaires dérisoires. Un modèle, celui-là, sûr de lui et dominateur.
L'"autre gauche" se doit de poursuivre dans cette voie, pour que l'exigence d'amélioration du travail, pour que les rapports de force dans l'entreprise, restent un apport prioritaire dans son discours économique. Ainsi elle recommencera à unir à elle tant de ses électeurs qui se sont détournés de toute gauche par crainte de l'abandon. Ainsi les choix électoraux ne reposeront plus sur des débats techniques mais sur un contenu politique.

C'est bien à ça que doit se consacrer une base politique de gauche, plutôt qu'à s'abîmer à gâcher du temps et de l'énergie à déterminer les formes de la désignation d'un candidat à la présidentielle. Une certaine gauche ne doit plus aspirer à sa disparition mais à repenser un modèle de gauche. Et il y a du travail.

mardi 25 août 2009

UN 23 AOUT A SEVRAN


"Du saint marché que Dieu nous envoie"



23 août 2009 à Sevran, la mémoire s'imposeà l'injustice,
à la mort.

10 août, 5 personnes meurent dans l'incendie de leur appartement, en pleine nuit, dans un immeuble du quartier des Beaudottes. Histoire comme on en a déjà entendues mille autres, de feux qui se propagent, trop vite, de fumées asphyxiantes, d'une porte d'appartement qu'on ouvre, de la mort qui vient prélever son écôt...



Habitants de l'immeuble et du quartier fuyant, impuissants. Ou tentant de venir en aide à des dormeurs et dormeuses cernés. Dealers déjà à l'oeuvre pour reprendre le territoire en main. Le Maire, le directeur général des services de la ville, sur place, tout de suite (*)

Le feu éteint, les mortes évacuées et les blessé(e)s secouru(e)s, les sinistré(e)s relogé(e)s provisoirement, dans l'attente des démarches de la Ville pour trouver un nouveau toît, la vie continuait. Comme une aberration, après ce qui venait d'avoir lieu.

"La vie continue", indiscutable fin en soi, injonction indécente à tourner des pages encore noircies, porteuse de la tentation d'oublier; il fallait que la mémoire s'en mêlât, raison pour laquelle était organisée, ce 23 août, une cérémonie de recueillement à la salle des Fêtes de Sevran.

(*) Le blogueur était en congés et ne fait que reprendre ici les récits de l'incendie et ce qu'il en a entendu après coup.





D'une salle pleine de 500 à 600 personnes, s'est élevé un manifeste fort : rien ne justifie qu'on meure en pleine nuit dans l'incendie de son appartement, dans un immeuble où la vie est dure, oppressante, quand la vie et la survie étaient déjà pour les victimes un dur combat de tout instant.






Femmes et hommes dignes, elles magnifiques dans leurs tenues africaines, eux le plus souvent en djellabas.









Une prière collective.















Un discours de l'Imam, un autre discours du rescapé de l'appartement du 6 allée La Pérouse.


De voisins encore sous le choc disent leur culpabilité de n'avoir rien pu faire. Le Maire est là, il prend le micro, voix cassée, dénonce les morts absurdes, les gens qui pourrissent la vie des habitants de l'immeuble, l'absence de tout représentant de l'Etat à la cérémonie. "On se sent un peu seul". Il est remercié par les intervenants, pour sa présence et son action.

Septembre est là, la vie est de nouveau plus rapide et stressante, entre rentrées d'écoliers et reprise en main du temps par l'économie. Le ciel chargé et la pluie en plus. C'est au milieu du brouhaha renaissant qu'on apprend que le feu de l'allée La Pérouse est sûrement criminel












lundi 20 juillet 2009

Le temps nous jette à la mer

"Pur spectacle de vie
Le marché nous sourit!"

Marceau, mon très involontaire Camarade, cinq mois que tu es l'invité du présent registre des incertitudes bougonnes et flottements coléreux du gars moi-même. Pas une seule objection de la ligne politique ou des termes employés depuis mars : preuve de discipline socialiste, valeur aujourd'hui enfouie.

Le complot pivertiste est en marche
Pourtant la rumeur montait jour après jour au sein des cercles autorisés, loges bétonnées, sectes, clubs, assemblées dissemblables, d'un putsch pivertiste contre ce blog pourtant pivertiste.

Des mouvements de faucons rouges étaient signalés ça et là, jeunes bardés de drapeaux rouges hurlant des "El Marceau unido jamas sera vencido".
Le ministère fermait les yeux mais empilait les indices de l'explosion redoutée; les arrestations étaient planifiées, dont celle d'un jeune conseiller municipal divers-gauche et atomisé de Sevran.

La France voyait, angoissée, se réinstaller un cycle historique, avec pour départ un nouveau front populaire, et, à l'arrivée, la guerre.

La guerre.
Les privations. Plus de Boursin aux fines herbes au rayon "frais" de Carrefour, inconcevable. Tout ça parce qu'un ancien chef socialiste mort depuis longtemps attendait son heure pour une marche triomphale sur la Capitale !

Embêtement : quel vieux Maréchal pouvait bien faire le don de sa personne à la France face à l'adversité? Personne n'avait le profil, mais il s'en trouva quand-même un. "Bonchoir Bédabes, bonchoir bédeboizelles...", poussa-t-il sur TF1. C'en était déjà trop.

On basculait dans le cauchemar pivertiste !

J'ai demandé une protection publique. La menace pesait sur moi, avant tout : appels anonymes, colis piégés ou voitures-suicides jusque dans le jardin de la rue Maurice Berteaux, tout était possible et méritait au minimum la haute protection de la Mairie de Sevran.

Ils n'ont rien fait.

Un premier adjoint au Maire a marmonné, l'oeil absent, qu'on pouvait à la rigueur m'envoyer un garde urbain à la retraite dix minutes par jour ouvrable.
Une honte. Tous des pivertistes.

Pendant ce temps, la presse bourgeoise s'est emparée du dossier. Etat d'urgence? Revanche du marxisme sur un système libéral en crise? Pasqua attendait son heure, on le savait bien.

La réaction anti-pivertiste s'organisait prestement.
Les cercles zyromskistes recrutaient. Mais qu'est-ce qui pouvait bien conduire ces crétins à organiser la résistance au social-fasciste Pivert en envoyant machinalement des armes en Espagne? Soixante-dix ans après!?
Bernard Thibault affirmait dans "Le Monde" qu'il était sorti précipitemment de chez lui en robe de chambre et pantoufles, la nuit précédente, après avoir entendu la voix de Benoît Frachon lui enjoindre de "prendre les armes contre l'hitlero-trotskyste Pivert qui menace des décennies d'acquis ouvriers" (Jean-Christophe Le Duigou en profitait pour ne pas totalement démentir que l'Elysée avait pris contact avec lui. Genre : "fuyons").
Une manifestation place de la République rassemblait trois touristes qui cherchaient la rue de la fontaine au roi.

Emoi parlementaire.
Questions d'actualité au gouvernement. Marie-George Buffet de demander au Ministre de l'intérieur si "les femmes et les hommes de ce pays sauront un jour la vérité". Le Ministre de lui répondre : "Et Kravchenko? Vous voulez qu'on reparle de Kravchenko?"

Chute historique de la Bourse et des cours des haricots à Rungis.

Plan de paix proposé par "Le Pivert de Marceau" à Marceau Pivert

Pivert, je propose un plan de paix en cinq points.
Sans savoir lesquels, peu importe, on improvisera.

Premier point : le blog va redevenir pivertiste. Il s'est éparpillé, j'en conviens. Dont acte, la IIème internationale a pris quelques missiles dans les dents, mais le grand Marceau Pivert ne va pas prendre la défense de ce vieux raffiot dévoré par l'asticot libéral!?..

Deuxième point : je dois préparer une salade de riz pour ce soir, Cathrine m'en ayant fait la demande.

Troisième point, qui n'a strictement rien à voir avec ce qui précède, mais, Camarade Pivert, je suis en congés, et quelque peu en congés de raison : je te présente donc une idole des écrans et des radios de ce début de siècle, un patron, certes, mais, pardon, pas n'importe-quel patron, ah, que non.

Ce patron-là est jeune-beau et moderne, éligible au statut de gendre idéal de la ménagère de 40 à 95 ans. Un mec, Marceau, un vrai. Il s'est mis dans la tête d'en finir avec le vieux conflit capital-travail, sûr qu'un "autre" patronat (qu'il faut appeler "management" aujourd'hui, ça fait propre, dynamique et clinique, ça claque fort) est possible et capable de faire émerger un "autre" salariat (traduis : purgé de la CGT, de FO et de quelques autres). Il a dirigé "The phone house", il siège au CA de Virgin et de Peugeot-Citroën, il a présidé "Croissance plus", un truc moderne et tout, sympa et tout, qui veut améliorer l'image des patrons. Merde, quoi, il veut nous convaincre qu'un patron est comme lui : sympa et tout.
Proche de nous.
Proche des gens.

Ce que ni toi, Marceau, ni moi-même n'avons jamais contesté.
J'en ai connu, des patrons de qualité. Un d'entre eux a appris, la semaine dernière, qu'il était démis de ses fonctions de Président d'une entreprise d'Edition qu'il avait portée à un rare niveau de qualité et de rentabilité.

Mais bon, notre jeune et dynamique manager au beurre salé, Geoffroy Roux de Baizieu, est sûr, mordicus, qu'on se trompe tous, que "le système" n'est pas pourri, qu'on manque tous de coeur et de bon sens, et que si on en avait assez "le système" produirait du bonheur à satiété et Besancenot ne franchirait jamais la barre des 10%. C'est sa thèse. En gros.

Voilà, c'était mon troisième point, et comme on ne va pas y passer la nuit, Marceau, il n'y en aura pas d'autre.
Car je reste pivertiste. Ca devrait faire l'affaire.

On signe?

Tu retires les Faucons rouges de mon Jardin? Ils font peur aux chats.

samedi 11 juillet 2009

L'ENTREPRISE N'EST PAS PLUS NOCIVE QU'UN FOIE DE GENISSE

"Si grand est le marché
Si bons sont les marchands"

O mon Camarade Pivert


____________________________________________________________________________________
Ci-dessus : Marceau Pivert "soutient les grévistes du XVème arrondissement" en 1936 (debout sur l'escalier). De quelle entreprise? Quelqu'un saurait reconnaître? Remerciements par avance, j'ai vécu vingt ans en face des usines Citroën...
_____________________________________________________________________________________


L'absence d'illusion est une des grandes libertés qui nous restent.
L'illusion, promène-couillons par lequel un système vous enchaîne. Les victimes consentantes arrivent à se trouver autonomes, fortes et libres néanmoins, incontestable réussite du fameux système, ou bien elles nient l'évidence de leur enchaînement pour ne pas perdre la face devant la famille, les amis, et continuer de se regarder en face.

Quelle illusion, quel système? Marceau et moi pensons sans doute aux mêmes. Pas difficile.

Non, on ne réécrira pas "Le Capital", que je n'ai d'ailleurs pas lu.
Mais, Marceau, un ancien leader de la Gauche révolutionnaire ne vas pas refuser un coup de gueule à un cadre moyen du privé pris d'une envie violente de casser de l'Entreprise?
Trente ans que je repousse les illusions de l'Entreprise, Marceau, je ne vais pas m'arrêter maintenant.

"Pourquoi l'entreprise?"
Pourquoi l'Entreprise ? Parce qu'on n'en parle pas, ou parce que la critique en est juste tolérée.
Comme une dissidence. Un furoncle. Une verrue. La critique n'est tolérée qu'à fin de la réduire et l'anéantir. L'Entreprise est protégée par une sacralisation plus ou moins consciente de toute création humaine; créer une Entreprise, la diriger, y participer, serait la finalité de l'existence, on ne sait quelle mission divine.
(Bien sûr, Marceau, je t'explique. Oui, brièvement. Je sais, tu as un apéro sous une tonnelle du côté de Nogent dans une heure. Mais tu as le RER, qui fonctionne si bien, alors ne stressons pas).

Un bonbon
Que l'Entreprise soit le bonbon de notre époque, rien d'anormal : on promet à qui veut l'entendre, pêle-mêle, le bonheur, l'épanouissement matériel et personnel, l'affirmation de soi, le triomphe de l'individu-roi, avec elle, l'Entreprise, pour terrain unique imposé, cour de récré et jungle à la fois, appât si séduisant pour tant de petites avidités. Illusion. Alors on y va. Dents longues et acérées pour les un(e)s, autoritarisme personnel ou arbitraire bien affûtés, avec, pour prétextes justificatifs, le résultat net, l'espoir de reconnaissance personnelle, le gain. Le bonbon. Pour les autres : obligation de suivre. Parmi eux, peu nombreux ont le goût de la morale et de l'honnêteté, mais ils existent...

Les organisations collectives, les constructions d'intérêt commun, l'enthousiasme qui ne déchaîne pas la concurrence étaient bons pour "avant", Marceau. Le système auquel nous pensons (le premier d'entre nous qui le nommera aura gagné) a fait place nette, l'Entreprise est Reine.
Elle est "la" valeur étalon du capitalisme moderne, vache sacrée débarrassée des règles, des droits sociaux et des syndicats, montrée en exemple à la société. Elle, la société, structurée en France par l'Histoire et la culture républicaines, par des valeurs individuelles et collectives issues de tant d'expérimentations enthousiasmantes et douloureuses, est sommée de faire allégeance à ce qui n'a ni Histoire ni culture, qui n'en a d'ailleurs rien à faire, un machin rivé sur le court terme, sans autre finalité qu'elle-même, sans autre valeurs que la création de richesse et sa plus inégale répartition.

Même le PS?
Tout récemment encore, effet des années quatre-vingt et de l'hyper-libéralisme qui ont installé son pouvoir exorbitant, l'Entreprise, qui l'eût cru, a aussi annexé le Parti Socialiste. Le PS entrait, depuis 1983, dans un rapprochement/retrouvailles avec sa vieille maîtresse social-démocrate européenne, ceci expliquant bien celà. Discours du retour à l'Entreprise, à la création de richesse, au silence dans les rangs; même le CERES, sur la fin, en avait toléré le diktat - tout en pariant vainement sur une mobilisation citoyenne simultanée pour en contrebalancer l'influence.
Mes anciens "Camarades" paraissent être revenus de leur addiction. Après nombre de départs du PS ou de ses périphéries, instances dirigeantes comprises, vers des postes haut-placés dans le privé; confèrent Frédérique Bredin, passée du secrétariat national du PS au groupe Hachette, ou Jean-Bernard Lafonta, du cabinet de Ségolène Royal à Wendel investissements...

Reste que l'idéologie de l'Entreprise-Reine a construit sa propre officine de pression idélogico-médiatique. Lève l'ongle de ton petit doigt pour objecter contre l'Entreprise, du plus simple au plus complexe, et les obligé(e)s économiques et politiques du medef envahissent écrans, journaux, internet, une haie d'honneur prête pour leur Reine absolue.

C'est dire si le sujet est encombrant, et s'il est ardu, voire inconcevable, de mettre l'Entreprise en question.
Or, voilà le hic : il ne s'agit pas de l'abolir, mais bien de la questionner. Pour ses thuriféraires exaltés, c'est blanc-bonnet et bonnet-blanc.
Sacralisation...

Mais c'est vieux comme Hérode, l'Entreprise! Il a toujours fallu un ferronnier, un maréchal ferrant, une laitière, il nous faut de l'industrie et des services aujourd'hui et qui s'opposerait (en dehors des soviets, jadis) à ce que tout ce monde-là s'assure de la marge pour vivre?

Faut-il pour autant que les modèles de l'Entreprise s'imposent à la société?
Faut-il au passage faire table rase des modèles sociaux, solidaires, non-financiers?
Pourquoi l'ambiance, à l'intérieur des murs des entreprises, est-elle à la soumission et à la répression? L'Entreprise est-elle zone de non-droit civil?

Oui, bien sûr, que fais-je de décennies de luttes sociales qui ont abouti à tant de conquêtes, congés payés, réduction du temps de travail, droits syndicaux et sociaux...
C'est un fait, mais ça n'est pas le sujet.

Le sujet tourne plutôt autour de l'organisation de la société. En gros, ce qui fait qu'en dépit de toutes ces glorieuses conquêtes sociales, explose le concept de "souffrance sociale"; innocente, l'Entreprise, alors que toutes les valeurs ou pseudo-valeurs qui mettent l'humanté à genoux sont puisées dans son modèle?

Allez, j'arrête.
Je viens d'apprendre que les salarié(e)s des Galeries Lafayette, après ceux du Printemps, sont obligés de travailler le 14 juillet. Effacée, la fête nationale. Effacée, la Nation. Vive le shopping.
L'illusion est maîtresse : tant et tant s'époumonnent, "pas d'erreur, ils travaillent sur la base du volontariat, personne ne les oblige!" Et puis non. Ils peuvent ne pas travailler, mais s'ils ne travaillent pas, c'est une journée de salaire en moins.
Et, tiens, Marceau, à Ikea, ils, les salariés, peuvent ne pas travailler le dimanche... sauf si une majorité accepte de travailler. Auquel cas, allez, au boulot. Et tant pis pour la famille, tant pis pour le temps, le rêve, l'insouciance.
Le 1er mai n'a qu'à bien se tenir.

J'arrête. Ca vaut mieux. Je finirais pas m'énerver, Cathrine n'aime pas ça.

dimanche 5 juillet 2009

Petits pois, épopées de guingois

"Si brave est le marché
Qu'on ne brave pas le marché"

Rappelez-moi leur nom, déjà?

Il était une fois l'orchestre du club des Coeurs solitaires du sergent Poivre.
Je suis le morse, Marceau, aussi sûr qu'une dinde froide.
Pas de héros de la classe ouvrière sans oignon de verre.

Dès que tu nais, ils te rabaissent
Et te privent de ton temps, en dépit de tout.
Jusqu'à ce que la douleur soit trop forte, tu ne ressens rien.
Un héros de la classe ouvrière, çà existe bien.

Le morse du Dakota enterre un âne, rien de mieux à faire. Il dit que rien ne changera son monde. Il faudrait que je vous fasse rencontrer, Marceau, tu aurais à lui en dire...
Mais, radin Monsieur Moutarde, ne me laisse pas tomber.

Tu peux me parler, si tu es seul tu peux me parler.

samedi 20 juin 2009

Comité de vigilance des Intellectuels qui kiffent grave

"Le marché nous est cher"

Cher Marceau

Un Comité de vigilance des intellectuels anti-spectacle, comme il y eut, jadis, le Comité de Vigilance des Intellectuels anti-fascistes. Ca s'imposerait, mais n'y pensons pas.

Once upon a time Bernard Marc Henri Musso Guillaume Levy
L'intellectuel de supérette de ce siècle d'or convole avec les caméras et appareils photos, avec la surface, le vide; pour être dans la modernité, s'entend... Quoi? Pour ses grasses opportunités marchandes? Rien compris ! Quel ringard tu fais, Marceau..

Que le théoricien du Tout est possible se rassure, une arrière-garde tient haut le fanion. Régis Debray, célèbrant Stéphane Essel (dans "L'instant fraternité"); autour d'eux, le plus loin possible l'un de l'autre, Alain Finkielkraut ou Michel Onfray (merci de ne pas leur dire qu'ils sont ici côte à côte). Aux Etats Unis, Noam Chomsky (pire encore...). En Suisse, Marc Bricmont. Sans doute beaucoup d'autres.

Mon cher Pivert, dans ce vide sidérant où ne surnagent que quelques hauts Esprits, la plus haute des avant-gardes, ce sont sans doute "des" Libraires. Ils ne se veulent pas intellectuels, ou pas tous, mais font tourner la machine à imaginer et à penser, en vendant des Livres.

Once upon a time les Livres
On a annoncé la mort du Livre dans les années 80; trente ans plus tard, c'est dur mais il résiste, tant bien que mal, en France en tout cas. Le nombre de Librairies récemment disparues en Allemagne et en Angleterre est vertigineux, moins fort en France mais le drame est au coin de la rue. Où il nous manque des Libraires et où les Livres ne se vendent pas. Comme à Sevran, ma ville, une ville sans Librairie.

Ca n'entraîne pas nécessairement la disparition de la lecture ni des Livres, encore qu'il y ait débat là-dessus. Mais une culture du temps long, de la patience, de la lenteur, s'émousse à la vitesse de la lumière, la Librairie en est devenue le sanctuaire menacé aux côtés des Théâtres et des Musées.

Once upon a time la loi Lang
Une des plus grandes lois de ces 30 dernières années a été adoptée en août 1981. Réjouis-toi, pour une fois, Marceau : elle était d'inspiration socialiste, quoique portée par nombre de grands esprits. La loi Lang sur le prix unique du Livre a pointé un danger culturel et économique, donc politique : un ministre giscardien, René Monory, avait libéralisé le prix des Livres en 1977, et introduit une concurrence sauvage et inégale entre Libraires et grosses surfaces, menaçant les premiers et laissant tous pouvoirs aux secondes, dont tout laissait penser qu'elles ne s'encombreraient pas de création ou de fonds, pas assez rentables. La loi n'a pas sauvé les Livres, elle n'a pas fait disparaître les gé-èsse-èsse (on ne le lui demandait pas. Même si...), mais fourni aux Libraires un outil pour vivre, ou survivre, selon les cas. Le Livre restait une marchandise, mais on prétendait à travers la Loi que sa nature-même et son contenu justifiaient une commercialisation à part (on dirait "régulée" aujourd'hui), protégeant le créateur à un bout de la chaîne et le Libraire à l'autre bout en imposant un prix unique de vente.



(photo prise à la Maison des Amis des Livres, la Librairie d'Adrienne Monnier rue de l'Odéon)

I'm a poor lonesome VRP L'auteur de ces lignes était représentant en Librairie de 1990 à 1998; des années plus tôt, jeune militant socialiste, employé d'une grande et prestigieuse Librairie parisienne, le vote de la loi Lang lui avait donné l'orgueil de sa carte de Parti; vint la deuxième et hideuse campagne présidentielle de Mitterrand, le traité de Maastricht et la guerre du Golfe, qui eurent raison de sa patience.
Un moment capital de ce temps d'arpentage des pavés parisien et banlieusard, et de visites aux Libraires, fut justement sa rencontre avec eux.


Once upon a time la banlieue
La banlieue parisienne abritait au début des années 90 quelques jeunes et fougueux Libraires appelés à succéder à Georges Dupré ou autres grands professionnels. Il y avait (il y a toujours) Jean-Marie Ozanne, créateur de "Folies d'encre"à Montreuil, Gérard Collard, co-fondateur avec Jean Casel de "La Griffe Noire" à Saint-Maur, il y avait, il y a toujours depuis 1980, Francis Geffard, créateur de "Millepages" à Vincennes.



Les trois, remarquables d'engagement pour les Livres, de pugnacité, d'opiniâtreté, dans une époque de mutation où la Fnac croissait, se démultipliait, suscitait déjà des douleurs faciales et estomacales.

C'était un privilège, de proposer des Livres ("défendre!", dixunt les manageurs qui démanagent), certains de haute tenue et de très prestigieux Auteurs (on en taiera la proportion), à des Libraires, dont les trois sus-cités, qui attendaient que je leur parle autant de contenus que de potentiels de vente, sans doute moins des seconds que des premiers, quoique...

Je me voulais vendeur, d'esprit critique et rêveur. Cumul d'hérésie et d'incongruité, pas trop à ma place. On ne me payait pas pour l'esprit critique, encore moins pour le rêve, mais on ne se refait pas, je ne savais pas faire autrement.
Tu saisis, Marceau ? Tout restait possible.

Chacun des trois était Libraire à sa manière.
Collard pointait chez les archi-rebelles, anars-grognons, critiques insatiables rictus narquois en prime, l'épiderme parlait fort et juste et ça déchirait tout (oui, ça "déchirait". Je t'expliquerai, Marceau) y compris à la télévision et en évitant (presque) le spectaculaire. Ozanne était passé de 25 m2 au centre de Montreuil à X fois plus quelques mètres plus loin, il s'est encore agrandi depuis, il portait un militantisme littéraire mâtiné de gauche libertaire qui paraît ne pas l'avoir quitté; Geffard enfin, parti lui aussi de 20 à 30 m2 au centre de Vincennes, X fois plus aujourd'hui lui aussi, Libraire-Editeur lui aussi, ne mettait en avant que son Entreprise, sa rigueur opiniâtre et un volontarisme tranquille et sans limite.

Rien, strictement rien en commun entre ces trois-là, sinon un acharnement de galériens à lire, vendre des Livres et convaincre de leur valeur. Du travail de long terme, de temps, de jugement, de coups de gueule (contre les banques, les Editeurs, les représentants, des auteurs, les propriétaires de baux, des clients, des concurrents, parfois des employés, les élus, les politiques, tout le monde, n'importe-qui) à rebrousse-poil d'à peu près tout et vraisemblablement sans en avoir conscience.

Le réel, une réalité comme une autre Raison pour laquelle ils ont leur place dans le réel, un réel qui apprend et se transmet, de la vraie valeur en somme. Mais qu'entendez-vous par là? (une retraite-chapeau à qui fournira la réponse de Pierre Dac). Le spectacle industriel et médiatique défie et dénie le temps, aux masses assujeties il transmet une fascination morbide pour l'immédiat, sans lendemain, sans conséquence. Des simili-intellectuels qui lui apportent leur caution tablent, en ont-ils conscience, sur leur propre disparition, comme touchés par le virus du no-future. Et trompent, trahissent à tour de bras, en leur nom (mais qu'importe) et, hélas, au nom de la Littérature et de Livres qu'ils prétendent servir.
La Librairie a les traits de la vraie vie. Pas de valeur-travail sans des pages à tourner et vice-versa. Il faut de l'imaginaire à y butiner, des idées à mettre en cause ou affirmer, Marceau, c'est un monde, les Librairies sont des endroits clos et pourtant les seuls où l'on se prenne à respirer.
La valeur doit se trouver là.

Disney, Dreamworks ou Lehman Brothers ne devraient pas devenir le nom d'une Librairie avant longtemps, si tant est qu'il reste des Librairies dans longtemps. Si tant est qu'eux-mêmes arrivent à tromper le monde encore longtemps.

Marceau, on prend les paris.

dimanche 14 juin 2009

Eté de l'Esprit, congé de la pensée

"Marché un jour
Marché toujours"

Marceau, un p'tit air d'état d'Ame
Un courant silencieux, des Femmes et des Hommes, partout, pensent l'individu comme unité souveraine et partie d'un tout. Pourquoi pas l'humanité. Et ne conçoivent d'Humanité qu'ouverte à plus grand qu'elle, un Dieu pour les uns, le bien commun pour d'autres.

. Frappant, comme Dieu (quelqu'Il soit) est toujours plus invoqué à mesure que le monde bat de l'aile; les croyances avancent et la marche désastreuse du monde en démontre la vanité.
. Curieux, un rien désespérant, comme le bien commun est lent, terriblement lent, à émerger.
Derrière ce temps trop long à faire acte de courage et de raison : le court terme, Yahvé des crétins, Jésus des enfarinés. Qui s'empare d'esprits tout à l'espoir d'un gain, matériel ou moral...

... "Et nous là-d'dans, qu'est-ce qu'on y fait?", demandait François Béranger...

Marceau, un grand air d'Europe
Cher Camarade Pivert, une élection s'est déroulée il y a une semaine qui engageait la vie d'un continent et à laquelle la moitié, ou plus, du continent n'a pas participé.
"Et alors?". Fichue question. Lorsque l'Etat a unifié les lignes de chemins de fer privées en 1938 pour fonder la SNCF, imagine si 50% au plus des agents ne s'étaient pas sentis investis de leur mission de service public. La SNCF n'aurait pas existé. Imagine une chambre de Front Populaire élue en juin 1936 avec moins de 50% de votants, douleur de la gauche, triomphe de la réaction. Ton fameux "Tout est possible" aurait eu rang de billevesée. Imagine encore une Entreprise privée actuelle essayant de tourner avec 50% de son capital et 50% de ses effectifs minimaux.

La réalité, Marceau? On s'accomode d'une réalité désastreuse tant que l'ordre dominant y consent. L'ordre dominant n'a que faire des Citoyens et de leurs votes quand les banques et les investisseurs font et défont les réalités sociales et économiques; les Citoyens leur ont depuis longtemps laissé le champ libre.

Et les Citoyens apprendront un jour - assez tôt, trop tard? - qu'une démission ne se reprend pas. Surtout si des peigne-zizis comme ci-contre la leur ont arrachée.

C'est bon, j'arrête, oui, je sais, tu connais. Ah, ces vieux socialistes, pires que les jeunes s'il en reste, impossible de leur raconter quoi que ce soit, prétendent déjà tout savoir...
Une certaine peur, un certain malaise cependant : un Parlement continental va prendre des décisions auxquelles 50% de ses mandants ne se sentiront pas liées.
C'est, dans l'Histoire, une recette éprouvée pour les explosions, les arbitraires, les fosses communes de la démocratie; l'image-reine va apprendre tous les jours à des Peuples fascinés que le déni démocratique est un acquis démocratique, ils y croiront tant que les supermarchés seront pleins.
Au-delà?
Rien, aurait pu dire Colette Audry.
L'Humanité, comme la nature, a horreur du rien.
Tout est possible, y compris l'explosion.

Attends, Camarade Marceau, attends !
Je sais, un socialiste n'a pas au Coeur l'état d'âme ni la langueur monotone.
La promesse socialiste ne se mesure pas à nos petites personnes; je ne milite plus depuis longtemps déjà, ou sporadiquement, et le changement du monde reposerait sur moi qu'il y faudrait des millénaires.
Juste ceci, donc : l'avenir du socialisme est une nouvelle longue marche. Proposer à l'Humanité de réfuter les évidences dramatiques de la vie qui va, pour en essayer d'autres qui, jamais, n'ont réellement existé et le payent en dizaines d'élections perdues, en révolutions ratées, en misères économiques et sociales du capitalisme mises sur le compte doucereux du c'est comme ça qu'est-ce qu'on y peut. Le socialisme appelle les Peuples au courage, et les Peuples sans pensée refoulent le courage par indifférence générale.
Beuh. Pas bon, pas beau, manque de sucre.

J'ai voulu apprendre la patience. L'enseigner à qui en aura plus encore besoin que moi, les jeunes de maintenant, mes Enfants au premier rang. Leur Mère. D'autres dont la compagnie m'est précieuse.
Quid de la patience et du temps long, de mon vivant? Ce mot de Jean-Pierre Chevènement ne me quitte pas les méninges : l'Humanité progresse par excès corrigés. Je verrai l'excès arriver à terme, laissant la correction à ceux qui suivront.

Marceau, un air de Livres
En attendant, ce constat, Cher Marceau, qui aurait valu à mon si cher Stefan Zweig une bonne nausée : plus de six-cents mille emplois ont disparu depuis quasiment un an, mais les ventes de Livres progressent.


J'attendais ce narquois "eh bien, tant mieux pour votre porte-monnaie !"; mais voilà, les petits, "le Peuple", comme on devait dire à la CAP autrefois, ne font pas que déserter la démocratie, ils peuvent crever et le commerce du Livre vivre très bien. Pas nouveau, j'en conviens. On balance aux petites gens des tartes Musso à la crème Levy, les plus éclairés d'entre eux se ruent dessus, leurs Editeurs se croient populaires, "près des gens", la messe est dite.
La démocratie et la Culture occidentales peuvent aisément se passer de leurs destinataires naturels en leur faisant croire le contraire.

J'en finis, Marceau.
Pour t'exprimer ma reconnaissance de parrainer, si peu que ce soit, cette chose blogueuse. Et prendre l'engagement de démonter d'ici peu de temps un mythe puissant, abusif et monstrueux : ça s'appelle "le plombier polonais".
Tu ne regretteras pas ton Parrainage, promis.
Salut et Fraternité

samedi 30 mai 2009

Jauni le crétinou


Sacré Jauni.

Cette chose appelée "blog", qui se réfère depuis le premier jour à Marceau Pivert, personnage-clef du socialisme, s'ouvre exceptionnellement à ce que la société du spectacle a pu créer de plus parasitaire en France ces 50 dernières années; l'auteur de ces lignes a bénéficié d'une invitation à assister à un de ses derniers concerts .

...Prologue...
Un concert du Jauni, c'est une fois et demi la population de Sevran, souvent des gens modestes, qui s'entasse dans le stade de France pour écouter et voir un homme qui, en 50 ans de carrière, n'a jamais écrit ni composé. Jamais rien créé, pas même un son de guitare.
Il a rempli le stade trois fois.

Jauni. Juste une image, changeante à travers les décennies; histoire de durer le plus longtemps. A ses débuts, fade ersatz d'Elvis et de Cochran parrainé par Line Renaud; puis jeune Français moyen, faux rebelle et vrai conformiste au coeur des 30 glorieuses, copieur de la culture anglo-saxonne et acquis à la variétoche gauloise et gaulliste; puis insupportable réplique des hippies US, miroir déformé de la contre-culture des 70s à laquelle il ne comprenait rien, et enfin, depuis 30 ans, image de synthèse : rockeur (encore que...) grognon giscardien chiraquien et sarkozyste, ingénu innocent avide d'amûr, en butte aux saloperies du monde avec pour seules défenses sa moto et la mûsi-queu, le plus souvent insipide.

Et lui, richissime.

... Le concert, à présent...
Marceau, planté entre Saint denis et Paris se tient aujourd'hui le stade de France. 80 000 places.
Ce 29 mai, tout le stade de France attendait l'entrée en scène de Jauni, comme jadis on appelait Baubet à démarrer le tour du vel d'hiv ou Maurice à enflammer la Fête de l'Humanité. On ne soucissonnait pas, ce 29 mai, on n'attendait pas de changer le monde, d'abattre les valeurs bourgeoises, redistribuer les richesses, abolir les inégalités.
On attendait Jauni.
Le jour tombait peu à peu. Et tout à coup, Jauni est apparu !


"Jauni", hurlait la foule.
Puis une voix s'est fait entendre face à Jauni, assez puissante pour couvrir toutes les autres :
"Va donc, vieux schnoque!"

C'est alors que Jauni s'est emparé du micro et a répondu, de sa voix forte :
"Toi, ta gueule, Féééééérme-la ta gueule !"

Derrière lui est apparu son orchestre, ainsi a commencé le concert.


Une légende, le Jauni.
"Toi, ta gueule" terminée, il s'est planté là, au milieu de la tribune. Fixe.
Quelques privilégiés ont pu l'entendre marmonner "Debû, les damnés deu la téééé-reu", le voir lancer en l'air un poing rageur. Fixer les 80 000 personnes qui le fixaient. Et pleurer une larme de coke.

Puis, se souvenant vaguement de pourquoi il était là, le Grand Jauni a désigné la foule du doigt. 80 000 personnes cherchaient à droite, à gauche, derrière ou devant eux qui le Maestro désignait ainsi.
Un râle, un filet de bave, et il a recouvert tout le stade d'un vibrant "Oh l'Ami, si tû savé, tû le mal que l'on m'a fé".
Et là, surprise, j'ai compris qui était la cible de son courroux :

C'était moi.
Il m'en voulait, Marceau, je ne savais pas pourquoi.
J'aurais aimé abréger sa peine, lui dire "allez, coco, pas que ça à faire, on va tous gagner du temps, tu vas rentrer dans ta loge, te faire une ligne, descendre ta fiole de whisky et rentrer chez toi. Viens, j'appelle Laeticia si tu veux. Viens, mon Jauni!"

Mais je n'ai pas pu, ou pas su.

Désespéré, le géant, septuagénaire ex-idôleu dé jeu-neu, a resaisi son micro, hagard, perdu et flattant manuellement son entrejambes. Secrètement (mais j'ai tout entendu) sollicité un souffleur derrière lui : "Dédé, la suivante, c'é bien "Quelque chose en nous de Kujawski"?. Puis, à la face de ce monde hostile, Jauni a crié "Poire c'est poire, il n'y a plus de poire".


On atteignait un degré rare de complicité avec un public pourtant acquis.

Le Jauni de génie a évoqué d'un ton déchirant sa rupture avec sa dernière conquête, une allemande. "Il est tombé, l'amûr de Berlin", a-t-il sobrement commenté en s'ouvrant les veines.

On en frémissait. C'était du vécu, du vré deu vré au quotidien, qui pouvait être aussi vré comme Jauni?


Puis, à une jeune Fan montée sur la scène pour exhiber sa poitrine devant son idôle, l'animal magnifique, entre deux rots, a sussuré à son micro : "ah que viens poupoule", puis lancé : "Les boutons de ton chemisier, lentement vont se refermer".

Quand le sublime Maestro (c'est trop) s'est de nouveau emparé du micro comme l'égorgeur de sa victime, il a réduit son groupe au silence, couvrant le stade de ses deux mains, et, après quelques secondes de silence solennelles, s'est égosillé :
"Quelqu'un a deux balles sur lui, que j'aille me taper une Kro?".

La nuit noire enveloppait Saint Denis et son Stade de France.
C'était la dernière tournée du Crétinou.

Depuis, lumières éteintes et haut-parleurs muets, gens de petit sortis du stade et retournés aux lendemains précaires, Jauni reparti pour le néant où il est mille fois apprécié, des mauvais coucheurs lancent contre lui, lâchement, dans son dos, des accusations fielleuses :

Jackpot pour Johnny

PARIS : Pour le traditionnel concert du 14 juillet, Nicolas Sarkozy a choisi d'offrir aux Français un spectacle gratuit de Johnny Hallyday. Jusque-là, rien d'anormal. Surtout lorsqu'on sait que les deux hommes entretiennent une amitié de longue date.

Sauf que cette récréation coûtera 1 million d'euros à l'État français et que la moitié de cette somme est destinée à la rémunération du chanteur. Johnny Hallyday devrait ainsi toucher 500.000 euros. (soit 327.950.000 anciens francs !) pour 3h de spectacle ! ...

Smicards, chômeurs soyez cons ... allez l'applaudir ... il s'en tape de vos misères !

Un comble qu'il reçoive cet argent français alors qu'il a choisi de s'exiler en Suisse pour payer moins d'impôts! "Je suis d'accord de payer des impôts, mais il y a une limite", déclarait-il il y a peu. L'hôpital se foutrait-il de la charité?

Deux ans après le concert exceptionnel de Michel Polnareff qui avait réuni un million de spectateurs sous la tour Eiffel le soir du 14 juillet, Johnny, d'origine belge et vivant en Suisse, fêtera la Fête nationale française !
Ce concert sera bien plus lucratif pour Johnny que les autres dates de sa tournée d'adieux. En effet, il ne touchera que 200.000 euros par date. La tournée lui permettra toutefois d'empocher 20 millions d'euros. Un beau petit pactole pour son départ à la retraite !

Marceau, la réussite, le talent feront toujours des envieux et des aigris.


mercredi 27 mai 2009

De l'hypocrisie proverbiale des métaux non-ferreux



























"Il y eut le marché, il y eut un lendemain,
Et puis plus rien"

Marceau, celà fait plus d'un an. En juin 2008, on découvrait, pauvres benêts, que l' économie de la planète était bâtie sur de la valeur artificielle issue des fameuses subprimes. Les banques payaient et se payaient avec de la richesse virtuelle, dans tous les circuits économiques et financiers circulaient des actifs "toxiques", sans réalité. Imagine, Marceau, tu achètes ton pain à ton boulanger à crédit pendant une semaine, lui se sert de ta promesse de paiement pour acheter sa farine, et la semaine passée, au moment de payer, il s'aperçoit que ta monnaie ne vaut rien. Tu ne peux pas le rembourser, lui ne peut pas payer sa farine acquise sur la foi de ton paiement. Tout le monde est dans la panade.

On aurait pu arrêter la tempête en nationalisant Lehman Brothers, quand on a réalisé que ses actifs pourris mettaient son existence en péril, et celle de tous ses créanciers et débiteurs; mais "on" a refusé de sauver Lehman et ainsi administré au monde, et aux plus faibles du monde, une punition qui se mesure en misère, en malheurs, en peur.

On a voulu nous faire peur, c'est bon, les gars, l'Humanité a la trouille, plus aujourd'hui qu'hier.



Quel challenge !
(Marceau, faut prononcer "tchallèneje")








Cher Camarade

L'été a commencé à partir, les jours les plus longs de l'année sont déjà derrière nous.
Souviens-toi, Marceau, c'est encore si proche, ces trois derniers mois où la nuit cédait au jour, un peu plus chaque jour, les jours s'étendaient, ils ajoutaient au temps de vie, au plaisir du lever à découvrir dehors des ciels pacifiques et les végétations en croissance. Oui, vrai, ce mois de juillet qui commence va être beau aussi, jamais rien n'égalera cette échelle qui de janvier à mars nous hisse de l'hiver au printemps, et vers l'été.

Appelle-nous, Marceau, viens prendre un Ricard ou une Suze, et tu verras notre rue et notre jardin, tu verras Cathrine le matin sourire aux arbustes qui poussent et à l'herbe verte qui nous entoure. Elle sourit plus tard aussi mais c'est moins évident. Ca se conquiert, quoi...

jeudi 21 mai 2009

Chroniques de la survivance - questions à Stefan Zweig

"Une cuillère de marché, trois mesures d'insanité"

"Tout en Europe marche avec une force irrésistible vers l'anéantissement, et je reconnais encore une fois que ce ne sont jamais les sages, jamais les penseurs qui forment le tissu dramatique de l'histoire, mais les grands monomanes, les lunatiques, qui ne voient (que) leur idée, une idée, qui peut guérir le monde - et en vérité, il en meurt."
Stefan Zweig à Romain Rolland, 1935

Grand Stefan Zweig, votre absence est notre plus grand malheur. Il y a péril à l'écrire, tant l'évocation du passé attire sur vous le soupçon de fuir le présent, de haïr son temps, les autres, et soi-même, évidemment.

Allez sussurer le lien ténu entre un passé assumé et maîtrisé d'un côté, et le progrès de l'autre...
Bien du plaisir, cher Stefan.

S'adresser à Stefan Zweig... Orgueil et présomption, ou plutôt non, bien plus modeste : j'avais en tête le mot Liberté, et c'est tout naturellement que votre nom m'est venu, vous qui avez revendiqué la Liberté avec plus de grandeur et de légitimité que quiconque dans l'Histoire.




Cher et grand Stefan Zweig, je déplore votre absence. Les pays d'Europe vont élire un parlement européen que, vivant, vous pourriez présider de plein droit; incarnation de la volonté d'Europe, porteur d'une idée de grandeur européenne indissociable de la culture et des valeurs humanistes, quel regard porteriez-vous sur l'Europe de 2009?



L'Europe d'aujourd'hui vous laisserait sans doute tiraillé. Comme tant de fois dans votre vie.
Vous constateriez une volonté moderne d'Europe, succédant à l'énergie fondatrice des Robert Schumann et Jean Monnet aux lendemains de la guerre; vous seriez séduit par cette frange de politiques allemands et français dont les discours résonnent encore de l'amitié franco-allemande, de l'Europe comme antidote à la guerre.

Sans aucun doute verriez-vous avec sympathie la tournure quasi-exclusivement économique de la construction européenne; du commerce comme outil de rapprochement entre les pays, de contact entre les Peuples.

Les inconditionnels de l'Europe telle qu'elle est ne vendent que ça : de l'économie, du commerce. Et pas n'importe-lesquels : de l'économie et du commerce "libres"; une telle Liberté va de pair avec l'effacement des Etats, et vous avez imputé aux Etats, à juste titre, la responsabilité de la guerre.
Vous n'auriez rien, je le crois, contre cette Europe-là.

Cependant la place de l'Etat a changé.
Jusqu'aux années 80, il est resté puissant à l'ouest, dictatorial à l'est; la prise du pouvoir par des conservateurs anglais et américains, l'effondrement du bloc soviétique, en ont sonné le glas, et avec lui les valeurs qu'il incarnait. Dont certaines, cher Stefan, étaient précieuses, tels, en France, la solidarité ou l'intérêt général.
L'Europe s'étant faite relais de la révolution conservatrice anglo-américaine, on est passé de politiques plutôt étatiques au dogme libéral.
Gloire à l'individu et à l'individualisme, exit les valeurs solidaires.



... Et la place aux entreprises, aux capitaux, libres eux aussi, place au chacun pour soi et à la richesse décomplexée jusqu'à l'indécence.

Là, cher Stefan, c'est le militant qui s'exprime




Jacques Delors disait qu'au moment de prendre la première présidence de la commission européenne il avait le projet d'adosser l'Europe à la culture et aux valeurs sociales; ayant fait le tour des avis des chefs d'Etats européens, il avait enterré son projet au profit d'une Europe économique, sur le modèle de la CECA.

L'Europe économique s'est privée d'être aussi culturelle, linguistique.

Culture, échanges entre les Peuples? Rien ou si peu. Osons : dans l'Europe en cours, exit vous-même, et Verhaeren, et Romain Rolland ou Thomas Mann, la place aux marchés financiers; les petits Français apprennent de moins en moins l'Allemand, comme leurs congénères allemands n'apprennent plus le Français. La langue anglaise règne en maître. Non par une offensive règlée contre les langues nationales, mais par abaissement, lâcheté, capitulation devant l'impératif du parler-vite commercial.
Les Cultures nationales s'effacent, les Nations sont données comme en voie de disparition au profit de régions.
On a coutume d'appeler "Empire" les Etats Unis, l'Europe paraît tentée par un sobriquet voisin.

Cher Stefan Zweig, cette Europe ne serait pas de votre goût, mais, j'en suis sûr, vous la soutiendriez. Vous constateriez l'absence vertigineuse et dangereuse d'un modèle autre et meilleur, vous regarderiez l'état des démocraties et civilisations sur la planète et en déduiriez vite l'urgence de la soutenir, cette Europe-là, faute de mieux.
Diagnostic à la fois vrai et terrible.

Aujourd'hui plus d'un européen sur deux n'a pas l'intention de voter aux élections européennes; les européens tournent le dos à l'avenir qu'on leur propose parce qu'on le leur impose, et, parallèlement, les extrêmes droites opèrent un retour bruyant.

Tout le monde sera d'accord pour conclure à la nécessité de plus d'Europe.
Mais faute de contenu identitaire, culturel, citoyen et historique, le "plus d'Europe" réduit aux marchés-rois signifiera plus de néant, plus de vide. Faute d'exemple venant d'en haut, de cette Europe-ravin qui devrait être cîme, se déclenchera le signal attendu par des peuples déstabilisés, atteints de plein fouet par des crises incessantes, pour s'enfermer dans leur coquille d'indifférence et de méfiance. Des autres. D'eux-mêmes. De tout. Le retour d'une extrême droite au pouvoir, en Italie, en Autriche ou ailleurs, ne sera plus inenvisageable.

Et, cher Stefan, on ne peut s'y résoudre. Quand il s'agit du pire, l'Histoire est toujours prête à se répéter.

lundi 18 mai 2009

LE MESSIE EST A STRASBOURG !

"Du marché qui vient à l'esprit"


Que faire, glorieux Camarade Pivert, lorsque ta Fille, citoyenne strasbourgeoise, a intégré une chorale universitaire - joliment nommée EVUS - et chante "Le Messie" de Händel dans une Eglise protestante de Strasbourg?

... Aller à Strasbourg.

Une fois sur place, laisser derrière soi le canal, avec le couple de cygnes élevant leurs trois jeunes descendants à la nage dans le canal et au repos sur les berges, les protégeant héroïquement des passants et des chiens. Laisser le soleil investir la belle Cité qui se laisse lascivement dorer la pilule. Laisser dans le même canal les concurrents du championnat de France de kayak-polo. Passer un temps court et exquis avec la jeune cantatrice avant sa performance.

... Puis, la performance. Le Messie.
Un choeur tout jeune emmené par un chef de 25 ans, et quel chef, Marceau, un orchestre, un "Messie" impeccable, un court moment d'Histoire dont la jeune cantatrice à binocles, au centre sur la photo ci-dessous, est une des 50 héroïnes.

... En tout cas c'était la nôtre.

Que faire, donc?
Se dire que le plus fort de la Vie est fait de ces moments d'exception.

Membres

Archives du blog

Qui êtes-vous ?

Quelqu'un qu'on sait être qui il est sans se douter qu'il est plus proche de celui qu'il n'a jamais été.