jeudi 25 octobre 2012

NOTRE AVANT-GUERRE, SAISON 2


Les saisons s'enchaînent, sans heurts, discussions ni kalashnikov... Une transition réussit. Déjà ça. Automne, hiver, imagerie naïve du froid et de la neige, le gros vêtement, l'abri chez soi au chaud, les bonshommes de neige, Noël. Et toujours ce pendant : les sans-abris, la morsure du froid, les restaus du coeur débordés, la mort parfois, la solitude des vieux...

 Seuil d'un nouveau millésime qui promet l'aggravation d'un état déjà piteux; la sérénité se laisse chercher sans succès. Quid d'exiger, comme ce groupe héritier de Ferdinand Lop, le prolongement du présent jusqu'à nouvel ordre, le bannissement de l'avenir, tant qu'il portera des couleurs sombres ?

Sensation d' "équipée malaise", si Echenoz me l'accorde, devant chaque jour que Dieu fait sur le modèle des précédents; nuée d'orage violent, odeur de guerre sur la planète, qui ne relèvent pas de la prophétie de malheur.

Guerre. Le mot est posé, les contours du réel en devenir lui ressemblent, elle redevient une hypothèse par la misère grossissante qui lui tient lieu de mise à feu.
Misère. Le mot est réel, dont la source n'est plus à aller chercher comme jadis, dans la fatalité ou dans les casques à pointe, mais dans la répétition des logiques d'un capitalisme maître de la réalité et de la hiérarchie des urgences. L'attente d'une civilisation, nationale, continentale ou planétaire, est remisée au rayon des utopies humanistes, un hochet pour individus de bonne volonté. Stéphane Hessel, superstar. Nous savons d'où viennent les vents mauvais, il en est encore qui en cherchent l'origine chez leurs semblables; ils seront, ou non, acteurs et révélateurs de notre défaite.

Ah, Dieux et maîtres, sortir de l'odeur de guerre supposerait que le présent nous en désodorise; qu'il le fasse donc, et nous ravisse à jamais à l'habitude d'attendre le pire...

Envie de revenir sur des étapes, des glissements, abandons et renoncements qui ont abandonné une humanité  à la dictature du court-terme. L'épreuve d'être de gauche quand une des gauches est saisie de honte, de haine de soi, prenant en otage de ses couardises et de sa duplicité le beau projet de construction européenne; quand l'autre gauche, faible numériquement, toute aux fronts, aux luttes, dépositaire d'un espoir social sous-traité par la social-démocratie, n'a ni force ni volonté de s'interroger sur des pratiques à rénover... Quand aucune ne se souvient qu'il n'est de projet de gauche et républicain que dans la recherche inlassable du dépassement, de l'union et du rassemblement.


Que faire ? Penser, réfléchir aux devoirs qu'impose notre état, à la construction d'alternatives aux systèmes responsables des souffrances individuelles et collectives, ne jamais cesser d'écouter, de s'enrichir, sans distinction d'auteur ni d'origine. Jamais une évidence qui n'appelle réflexion, débat, ou bien décrétons de suite la mort de la contradiction puis de la pensée, avant celle de l'intelligence, et avant nos morts biologiques.

Et osons la critique ! La révolution naîtra ou explosera de son extension, quand le  présent se nourrit de sa compression. Nous vivons encore, et sans doute pour longtemps, dans l'ombre et sous la tutelle des années 80, pur produit de la révolution conservatrice. Presque quarante ans après, nous n'en avons toujours pas fait la critique, parce que cette prison de l'esprit a généré une antidote permanente à sa mise en cause. Les écrits et paroles dubitatives se font entendre : voyons, c'était de l'enfumage, paillettes, fric, image, égoïsme érigé en vertu... fermez le ban. Une alternative ? Vous n'y pensez pas... Indépassable, trop complexe. Un enfer dont on a conscience vaudra toujours mieux qu'un rêve d'y échapper. Gare, le danger guette !
Lequel ? Celui de rêver, surtout de sortir des années 80, précisément.




Il y a pire : pas une révolution dans l'Histoire qui n'ait été l'objet d'études et d'analyses profondes; la révolution conservatrice et les années 80 y échappent. Délégitimant le temps long et tous les systèmes antérieurs, cassant les mécaniques sociales construites depuis la crise de 1929, elles ont imposé à l'Histoire le primat et l'horizon indépassable du présent, et un avenir sui-generis, sans racines ni origines. La mémoire en fut et reste la victime principale, l'invocation des bienfaits supposés de systèmes antérieurs et la critique du présent étant sorties du champ des possibles.

"Eh quoi, charmante Elise ? Quel est donc ce navire au lointain qui chavire? Notre monde, l'Europe? N'écoutez, belle enfant, que les enchantements d'une vie de merveille, fermez vos écoutilles aux vilaines abeilles et leurs noirs desseins : avançons donc, vous dis-je, courrons cueillir le jour et la fleur renaissante..." (PCC Molière)


Voilà donc nos vies rappelées à leur fragilité, l'économie est en embuscade, gare à nos existences.

A quelques naïfs qui hier encore cherchaient à changer la vie, planchant sur des équilibres généraux et l'allègement des peines des plus faibles, et à entraver la marche de la planète vers le chaos, l'économie vient à chaque instant ramener du rêve au réel. Naïfs, nous l'étions. L'incessante tempête néo-libérale balaye le château de cartes économique. Elle reformate l'Histoire : la "crise" remonterait à quatre ans, rien avant les terrorisantes subprimes ! Et la tempête de frapper : on en goûte les charmes façon baston, austère, dure, sévère.

Mais nous serons nombreux, le 31 décembre prochain, à souhaiter quelques dizaines de "bonne et heureuse année".

Quelques économistes, philosophes et politiques avaient tout prévu depuis des lustres, mais tout a continué; mazette, l'économie lancée à plusieurs fois la vitesse du son ne se laisse pas arrêter comme ça. Qui ose seulement y songer s'entend taxer de conservatisme et de pessimisme comme jadis d'hérésie. La critique rejetée à la marge est dépossédée de tout pouvoir.

Reste le pessimisme. L'esprit pessimiste a de l' avance sur des événements qu'il a pressentis. Contre l'incrédulité générale il a vu les faits arriver; il perçoit l'aveuglement et l'incompréhension de la société avant l'événement, et l'angoisse quand l'événement survient. La société, elle, se refuse à l'anticipation et à tirer quelque leçon que ce soit... Ses péroraisons vérifiées, de l'incident modeste au pire désastre, le pessimiste peut s'époumonner qu'il les avait prédits, peu chaut à ses semblables : la page tournée, seuls compte pour eux un nouveau départ, une motivation assez puissante pour les faire aller, surtout si c'est nulle part. L'éventualité que cette marche promette la déroute est une lubie tolérée, mais indigne d'attention. Tel est son statut, jamais écouté car il va contre le besoin convulsif de mouvement; où, pourquoi, comment, peu importe au monde, qui va avec l' inconsciente certitude d'un paiement en retour : amélioration, grain à moudre, bonheur, en somme. Dada fantasmatique autrement appelé "espoir", ou optimisme béat.

                                               Ces deux toiles sont de Tobeen (musée de Bordeaux)

Voyons... Charmante Elise, l'Histoire immédiate nous jette à la mer. Le flonflon enchanteur souffre d'un couac de forte magnitude, la crème tourne, le tournedos est faisandé. Aujourd'hui ou demain grondera un tonnerre, qui abolira l'illusoire sentiment de tranquillité générale acheté sur une vieille croyance de bonheur. Bonheur économique, puisque tout procède de l'économie : produire, créer de la richesse vaudrait distribution et promesse de félicité, un jour ou l'autre.
Couac. Il y a eu production de richesses, illusion de distribution par l'impôt, puis par le transfert de production de l'ouest vers l'est et l'orient via la mondialisation - rachat de la honte du licenciement et de la délocalisation par la bonne conscience de l'emploi créé en Roumanie, en Inde et en Chine - mais partout au final triomphent l'inégalité et la récession, avec les humbles en premières victimes (les autres attendant leur tour). Les Etats redistributeurs sont à genoux. Et, en guise de bonheur collectif, la planète est saccagée. L'humanité demande la lune mais ne peut plus se l'offrir, on traverse un scénario dont l'issue aurait jadis été la guerre, et pour certains, dont Jacques Sapir, nous l'aurons peut-être.

Oui, charmante Elise. Après s'être bâfrée depuis trente ans de la potion  de deux chefs d'Etats anglo-saxons timbrés, encensé l'individu bienfaisant, piétiné le collectif, renoncé à l'esprit critique, notre humanité contemple les dégâts, hébétée. De la mondialisation néo-libérale "heureuse", ne reste qu'une fracture béante qui laisse hagards des politiques, intellectuels et penseurs, et des "gens", communs des mortels, qui ne lui voyaient pas d'alternative; tous ont foncé dans l'économie de marché désinhibée qui explose en vol, sans faire la part d'une vie qui va et du système qui la régente, sans deviner le néo-libéral derrière la normalité apparente, sans s'avouer avoir été manipulés, bêtement.

Très charmante Elise, la fierté et l'amitié sont le propre des Hommes libres. La liberté individuelle s'épanouit dans l'alliance des bonheurs collectif et individuel, par quoi Tony Judt définissait la social-démocratie, et rétrécit à mesure que les cultures de l'argent, de l'accumulation et du pouvoir innervent la société et la vie; les individus assujettis à l'économie se laissent gagner par la frustration, compensent leur humiliation latente par le ressentiment envers tous les pouvoirs institués et surtout envers leurs semblables (le RER aux heures de pointe résonne de "les gens sont fous", proféré par des vulgus pecums contre d'autres) et par l'envie de tout envoyer balader, tout et tous coupables d'une manipulation dont on se sent confusément l'objet. Le "chacun pour soi" est à l'oeuvre. La dissolution et l'atomisation sociales sont proches, boulevard pour les thématiques que goûtent tant le capitalisme entrepreneurial et l'extrême-droite : l'individu fort s'arrache de la multitude et lui décoche son mépris, tel est le socle des hiérarchies et de l'ordre inégal. Ainsi s'installent insidieusement le populisme et le décor d'une possible guerre sociale. Le nationalisme qui pousse à la guerre est le paravent des mécaniques économiques qui en sont le déclencheur, et c'est sur le prurit populiste que pousse le nationalisme. Ce que Jaurès traduisait par "le capitalisme porte la guerre comme la nuée porte l'orage".



Le néo-libéralisme aura universalisé ses désastres en moins de quarante ans. En se voulant la seule voie possible pour la planète, en s'imposant partout, jusqu'au PC chinois, l'idée mortifère néo-libérale a désarmé ses contre-poids et voulu tuer ses antidotes. Il n'en reste qu'une : la raison, alliée à la volonté; belle et sûre alliance républicaine seule à même de nous tirer de là, avec en face une humanité qui tant de fois aurait pu s'en saisir pour repousser les vents mauvais et a préféré la courte vue, l'intérêt immédiat, et épousé la faucheuse qui aujourd'hui lui présente l'addition. Il n'y aura pas de miracle, ou si peu.

Au milieu du tableau de fin d'année constellé de lumières et d'espoir, reviendront à l'esprit les testaments de Zweig et de Judt, deux juifs magnifiques, sentinelles des âmes et de la civilisation, et leurs signaux d'alarme angoissés. Le premier voyait, dans son monde des années 30, disparaître les signes, réputés intangibles jusque-là, de concorde et d'envie de vivre, il sentait monter les ferments de la guerre. Le second alertait cinquante ans plus tard sur l'étendue du "paradis perdu", alliance, brisée par la mondialisation néo-libérale, de conquêtes sociales et d'état d'esprit individuel et collectif tourné vers la vie à long terme. Judt ne voyait pas l'enfer succéder au paradis perdu; mourant, il enjoignait pourtant aux vivants de conserver tout ce qui peut l'être de ces conquêtes si violemment décriées par les libéraux - les appelant à en conquérir d'autres, seule inscription possible du contrat social dans l'avenir.



J'ai la gorge nouée, charmante Elise, à me demander si mes contemporains et nos successeurs essaieront, oseront ouvrir les yeux. Elle le serait moins si mes doutes n'étaient aussi forts.

Une autre juive, magnifique à sa manière, faillit nous arracher de l'espoir au carrefour de l'Histoire contemporaine. Essayiste abonnée aux Flore, Deux Magots, Lipp, Nouvel Obs et "Art Press" (on dirait aujourd'hui "une bobo"), elle publie en 1996 "L'horreur économique", aux éditions Fayard, en vend 350 000 exemplaires, le livre est traduit dans 32 langues et obtient le prix Médicis de l'essai. Viviane Forrester, y dénonce la pente néo-libérale, ses dégâts sociaux et ses inégalités. La dame ne mâche pas ses mots, le constat est pertinent, elle fait mouche.
Malgré l'avancée du marché mondialisé, on est encore sur une ligne de crête. Il a imposé l'idée d'économie "sociale de marché", converti le PS au modèle mondialisé en construction et disqualifié par avance - semblait-il - toute critique et toute recherche d'alternative.

Mais le rapport de force est encore en balance. Novembre-décembre 1995 vient juste de passer, la dissolution de l'assemblée par Chirac n'est pas loin; entretemps, Forrester, grande bourgeoise des beaux quartiers, cautionne et légitime l'angoisse que, déjà, le système montant génère dans le corps social, alors qu'il n'a pourtant dévoilé qu'une part infime de ses batteries. Un certain Marceau Pivert aurait volontiers dégaîné son "Tout est (encore) possible".

On le sait bien alors, cette "horreur économique" précède un train de dérèglementation, de libéralisation et de privatisation fou; sous les regards narquois des naïfs de gauche, nous savons ("nous"... républicains de gauche, pessimistes et pointilleux) qu'il vise à transférer la production à l'est et en Asie, à appauvrir des peuples mis en concurrence et à faire échapper la richesse à la redistribution encore en vigueur à l'Ouest. Nous savons que l'argument mondialisateur et européen est le cache-sexe d'une accélération de l'accumulation capitaliste et que la libre circulation des capitaux en est le moyen, et nous pressentons que la classe salariée française et européenne en fera les frais; nous alertons, nous en appelons, contre le raz de marée mondial qui se prépare, à la reprise en main de leurs affaires par les Peuples, à leur réarmement républicain, à la restauration de l'Etat régulateur et animateur démocratique de la société. Au milieu de la révolution conservatrice, nous désespérons d'un salut de l'héritage social et républicain. La parution de "L'horreur économique'' est le signe qu'une braise a survécu à l'étouffement du feu, et que rien d'autre à faire de mieux que souffler dessus.

Il y a face à nous tout ce qu'un système en voie d'hégémonie mobilise pour conforter sa marche. BHL, TF1, Joffrin, Cohn Bendit, Rocard, Delors (renommés "Dollar record" par "Le Canard"), Rosenvallon et la gauche "anti-jacobine", ce beau monde fait valider la route vers l'abjection au forceps, sous couvert de la nécessaire ouverture au monde. L'idée de résistance, l'émancipation vis-à-vis du lexique néo-libéral dominant déchaînent les procès en nationalisme, en réaction, en néo-fascisme parfois. L'invocation de la République devient anathème, la nation est rattachée à l'extrême-droite. En pareil contexte, le succès de "L'horreur économique" est une bonne nouvelle, toute question sur la personnalité de Viviane Forrester passe loin derrière la jouissance de voir pareil titre s'imposer, même si le débat généré par le livre est mince et bref.

Au journal "Le Monde"

Patatras. L'effet Forrester ne dure qu'une lune; "Apostrophes", émission de télévision de Bernard Pivot, éteint le lampion. Pivot y a invité Forrester et lui oppose Guy Sorman.
Forrester, bourgeoise dressée contre son camp, porteuse d'un message qu'aujourd'hui on dirait "indigné", pouvait se contenter de reprendre à l'écran les thèmes de son livre et emporter l'adhésion. Mais en robe de luxe sur le plateau, sur-maquillée et couverte de bijoux autour du cou et aux oreilles, elle débite en direct, péniblement, un discours dénonciateur qu'elle paraît découvrir, transie de trac, dans un Français déstructuré. La gauche qui n'éclate pas de rire ou rit jaune éteint son poste, l'éditeur dégrade ses prévisions de ventes.
Quand Pivot donne la parole à Guy Sorman, commence un carnage. A ses questions qui se voudraient flegmatiques et innocentes, auxquelles elle ne sait répondre et qui achèvent de la déstabiliser, Forrester répond par des "je ne vous ai pas interrompu" qui déclenchent le quasi-fou rire de Pivot. Sorman jubile.  Le ridicule de la situation est total, le piège médiatique s'est refermé sur l'auteure dont le livre suivant, "Une étrange dictature", ne se vendra évidemment pas, l'indignation attendra le train suivant, treize ans plus tard.

Et donc Forrester ne nous apporta pas le coup de main attendu, et Hessel nous laissa sur le bord du chemin des Indignés. XXIème siècle, et les qualités évidentes de l'auteur d'Indignez-vous, et sa résonnance mondiale, n'empêchent pas l'indignation de rester à quai, une fois de plus. Elle est le seul remède reconnu par notre temps à ses pesanteurs; rien au-delà, disait Colette Audry. En face, une planète théâtre de drames dont elle aura du mal à se remettre, si elle s'en remet, et dans lesquels nul n'ose plus intervenir. Viviane, reviens, et si, en plus, tu pouvais faire une répète avant de revenir...



 Charmante Elise, on sait donc aujourd'hui de quoi la critique doit faire l'économie pour trouver une écoute : dénonciations du présent, invocations de modèles anciens de vie meilleure pour attester les chaos en cours, démonstration que le pire n'est pas fatal... Pierre Mauroy, dans ses Mémoires, raconte avoir vu, devant un lac africain plein d'eau, des espèces animales connues pour s'entre-dévorer cohabiter pacifiquement, pour boire, ensemble, tout simplement... Tout celà est à remiser pour la quasi-éternité, j'entends par là jusqu'au dernier jour de l'emprise néo-libérale sur les esprits. La critique du temps présent doit respecter un code impératif - ou risquer l'invalidation pour absence d'"idées neuves" : l'approuver d'abord, le critiquer ensuite seulement, puis se garder de lui imaginer toute alternative.
Que nous restera-t-il bientôt, avec notre "Monde d'hier" entre les mains, enveloppé du froid métallique de la liseuse ?

C'est bientôt 2013. Nous reste la recherche du bonheur, mordicus, territoire que l'on dit infini. Passons outre le fait un peu frigorifiant que c'est là le seul militantisme acceptable par notre temps, buvons la potion le nez pincé, à la façon d'une cuillère d'huile de foie de morue. Cédons à la fascination du plus simple, comme j'ai cédé hier soir à la vision de nos deux enfants, leur Mère à leurs côtés, je n'en croyais ni mes yeux ni mes oreilles et la submersion émotive affleurait.
Ma responsabilité d'Homme s'arrêterait où commence l'irresponsabilité de mes semblables. Je n'aurais de prise sur l'Humanité qu'en l'acceptant, j'éviterais le mythe d'Icare en évitant de chercher en elle des contenus iréniques introuvables, et m'autoriserais une vision de la vie réaliste et heureuse. Fascinant comme une quête de bonheur débouche sur l'invariable évidence du pessimisme.



C'est bientôt 2013, Tony Judt est mort dans d'indescriptibles souffrances, les idées qui ont servi à l'édification des principes de bonheur individuel et collectif à la sortie de deux guerres mondiales, et qu'il tenait pour le socle irremplaçable de toute nouvelle civilisation, sont le décor d'un théâtre qui menace ruine. Mes contemporains le savent ou feignent de l'ignorer; il me faudrait prendre de haut leur incapacité, dont seul je serais juge, de rebâtir le théâtre et remonter les pièces, saynettes ou opéras qui faisaient tant pour générer les bonheurs simples et vifs de tous et chacun. Prendre ma propre truelle et bâtir mon guignol à moi. Mon Père n'aurait pas désavoué pareille idée. On y revient : peu d'humains avaient des idées plus noires que les siennes.

Continuer à militer, à attendre le déclic par lequel les foules retrouveraient un sens à la vie terrestre, jetant aux orties le court-terme néo-libéral qui les ronge et obère leur avenir. Continuer à illustrer un peu plus la théorie de Comte-Sponville qui a tant frappé ma conscience lorsque j'avais trente ans. Accréditer ce mot de Chevènement : "c'est l'issue la plus dure? Sans doute, mais c'est la seule".



Pessimisme de l'intelligence, optimisme de la volonté, encore, toujours, marcher le long de la mer, tant qu'elle continuera de bercer ceux qui ont mal.


Membres

Qui êtes-vous ?

Quelqu'un qu'on sait être qui il est sans se douter qu'il est plus proche de celui qu'il n'a jamais été.