dimanche 18 octobre 2009

Des primaires déprimantes (2)

LES PRIMAIRES, UN VOL AU VENT FUTURISTE CONTRE LA MISSION ET LES DEVOIRS DE LA GAUCHE


Alors que l’interrogation sur l’avenir des gauches est dans toutes les têtes, d’aucuns ne voient d’avenir que dans des élections primaires. Ils font l’économie de tout questionnement sur la perte par une certaine gauche, socialiste en particulier, de sa substance politique, et sur les moyens d’un retour à ses valeurs : l’ombre plutôt que la proie, délaisser le fond du problème au bénéfice d’une pure mécanique électorale, tel est le lourd soupçon qui pèse sur cette vague futuriste des primaires.

Côté PS, mais aussi parmi des militants en rupture de Partis tentés par des courants périphériques, ou jeunes non-organisés, est occulté le fourvoiement social-démocrate, libéral, obsédé de pragmatisme, qui a, aujourd’hui et pour longtemps, disqualifié la gauche non-communiste de l'après-guerre froide. Un refus du devoir de mémoire, accompagné de la désertion d’un front pourtant capital : l'entreprise et les salariés. Un front qui devrait capter la combativité et l’intelligence de la gauche, au lieu de quoi il n’est que sur-gestion des enjeux électoraux, présidentiel en particulier, à travers les primaires... « Primaires à gauche », et, simultanément, esquive de l’impératif d’accompagnement du monde du travail : on n’est donc pas au bout des logiques d’échec, et, à lui imposer ainsi de marcher sur la tête, on paraît courir après l’effondrement définitif de la gauche.

En marge des Partis, parmi les militants autonomes partisans des primaires, subsistent des vitalités de gauche qu’il faut saluer. Dans les banlieues, quartiers et associations, ils inscrivent au palmarès de la gauche de fortes efficacités locales, un véritable honneur, mais autant de pansements au capitalisme qui n’accouchent d’aucun modèle politique général.
Tirant la leçon de leur désarmement théorique et idéologique, des élu(e)s et associatifs de gauche se sont emparés avec brio du seul domaine que la mondialisation libérale leur a abandonné : le sauve qui peut.
Sauve qui peut le collectif, la ville, le chômage. Défense de valeurs sociales et culturelles, recherche d'un modèle urbain équilibré : une gauche "de terrain" réalise des miracles, contient les digues économiques, sociales et urbaines à bout de bras et de volonté; l’incendie de la tour La Pérouse à Sevran (seine saint Denis) en août dernier, qui a fait cinq victimes, a montré les trésors de mobilisation et d’ingéniosité de cette « France d’en bas » face à l’essentiel, l’inégalité des richesses et des territoires produisant des drames intolérables. Des milliers d'exemplarités locales se déploient ainsi, sans qu’en émerge un modèle ni une exemplarité de gauche.

Parallèlement, dans et pour l’entreprise : rien, ou presque. Au milieu d’une précarité sociale en généralisation, les salarié(e)s, en particulier bénéficiaires d'un CDI, doivent se convaincre de leurs privilèges : ils travaillent, leur salaire "tombe". Fermez le ban. Tant et tant de politiques de gauche imbibés de doxa libérale ont fait à leur tour de l'entreprise une vache sacrée, et traînent derrière eux trop de mauvaise conscience du chômage de masse pour ne pas éprouver de lâche soulagement en sachant tous les matins des salarié(e)s en route vers les entreprises… et en les y oubliant.

Activisme de « terrain » d’un côté, abandon de l’entreprise et du salariat de l’autre, refuge dans la combinazione version "primaires" : ainsi s’abîme la gauche.

Le combat contre le chômage doit évidemment être une priorité absolue. Il faut recréer de l'industrie et des emplois salariés. Mais il faut aussi que la vie dans l’entreprise change; trop peu d' écharpes tricolores d'élu(e) s fréquentent les sorties d'entreprises pour parler aux salarié(e)s, constater combien, sous la pression économique, la qualité du travail, leur moral, se dégradent, combien se creuse l'indifférence du monde du travail à l'égard d'un monde politique de gauche oublieux de ses devoirs, et combien les salarié(e)s s'en remettent à l'idéologie dominante pour se tracer un horizon : compassion pour l’entreprise puis investissement total, au risque d'y laisser leur vie privée, adhésion à l'individualisme, la compétition ressentie comme "inévitable", le discours de concurrence s'introduisant partout. Ainsi les salarié(e)s se sentent délié(e)s de leurs obligations citoyennes et plus largement politiques. L’effondrement qui guette la gauche, s'il en reste une en dehors de l'"autre gauche", c'est celle de la fermeture définitive de sa base sociale théorique, quoique naturelle, à son discours et à elle-même.

La gauche officielle a pourtant eu une occasion d’entendre un message plein de sens, pendant la crise du CPE : une forte majorité de jeunes, sondés sur leurs attentes quant à l’entreprise, exprimaient le vœu sans nuance d’intégrer le secteur public. Pareille défiance à l’égard du privé de la part des futurs constructeurs ("acteurs", disent nos modernes) de l’économie aurait dû attirer l’attention générale ; il n’en a rien été, ni évidemment côté Medef et Croissance Plus, ni du côté des hiérarques socialistes, ni chez les « autonomes » de gauche.


Il y a pire : hormis des sociologues ou sondagiers appointés, plus personne dans la gauche officielle ne porte le fer contre le malaise salarial, hormis pour réclamer plus de pouvoir d’achat sans paraître y croire une minute. La consommation de psychotropes n'est que statistique récurrente, comme les dépressions en chaîne, le temps et les moyens de voir venir les suicides liés au travail sont un luxe que nul n'est plus en mesure de s'offrir. Après tout, tant qu'il y a production, il y a de la vie et de l'espoir.
... Et puis, les salarié(e)s ont des syndicats. Laissons-les se débrouiller entre eux, tel est en substance le message de nombre de hiérarques "de gauche", qui oublient le faible nombre de syndiqué(e)s, le surmenage des élu(e)s, leur liberté syndicale à conquérir tous les jours face à des DRH oublieux de toute souplesse.

Trop d’intériorisation du chômage de masse, à laquelle elle a contribué, a fait déserter la gauche de l’entreprise, son champ de bataille naturel.

Il s’est trouvé des candidats aux élections européennes pour aller aux portes d'entreprises menacées de fermeture ou de restructuration, et dresser des passerelles entre les discours des salarié(e)s et les leurs. Pour passer aussi prendre la température sur des sites non-menacés, s'intéresser à l'inquiétante expansion des nouvelles industries du tertiaire, telles les plateaux d'appel, productrices de précarité, de caporalisme social, d'humiliations et de stress, pour des salaires dérisoires.
C’est cette voie qu’il faut poursuivre, de façon méthodique et sans attendre des élections. L'exigence d'amélioration du travail, les rapports de force dans l'entreprise, doivent rester un apport prioritaire dans le discours économique de gauche. Pas d’autre moyen pour qu’elle recommence à unir à elle tant de ses électeurs qui s’en sont détournés par crainte de l'abandon face à une économie anxiogène et parfois meurtrière.

Ainsi les choix électoraux majeurs ne reposeront plus sur des débats techniques mais sur un authentique contenu politique.

C'est ce à quoi doit se consacrer une base politique de gauche, plutôt qu'à s'abîmer à gâcher du temps et de l'énergie à déterminer les formes de la désignation d'un candidat à la présidentielle via des « Primaires ». Une certaine gauche ne doit plus aspirer à sa disparition mais à repenser un modèle de gauche. Et il y a du travail.

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