vendredi 11 avril 2014

EUROPE SOCIALE ET ECOLOGIQUE : LES BOUCHES S'OUVRENT

Le lien mystérieux entre les élections municipales françaises et les européennes qui vont suivre sous peu est clair : c'est la construction delorienne de l'Europe qui a été jetée aux orties les 23 et 30 mars.

Il est question ici d'une construction qui a eu pour faits majeurs les traités de Maastricht et de Lisbonne, et n'a eu d'autre but que de réduire l'Europe à un terrain de jeux néo-libéral. Construction non dénuée d'un vrai et sincère volontarisme politique mais issue de choix mortifères,

. De bâtir un continent sur l'économie et le "business" seuls, avec pour points d'orgue le marché et la "concurrence libre et non-faussée" qui auront plus fait pour dégoûter des millions d'européens de l'économie de marché et les convaincre de l'inutilité de la démocratie que deux révolutions industrielles mises bout à bout,
. De balayer les cultures et les identités,
. D'enterrer à la va-vite les Etats-nations,
. Et de vouer aux pires gémonies et exclusions les débatteurs et contradicteurs du "modèle". Ainsi s'est déchaînée lors de la campagne sur le traité constitutionnel européen de 2005 une machinerie idéologique abjecte, à laquelle Delors apporta sa démocrate-chrétienne contribution, qui rejetait dans le nationalisme, le populisme, le national-populisme, le souverainisme, voire le fascisme pur et simple toute objection - non quant à l'Europe-même, mais quant au TCE en tant que tel, à des orientations libérales voire ultra-libérales de la commission, un conseil de l'Europe largement dominé par le libéralisme et une inutilité manifeste du parlement européen, aux ordres du PSE et du PPE.

L'asservissement des Etats aux diktats budgétaires de la commission, ses ingérences chirurgicales dans leurs affaires intérieures, les sordides punitions imposées à des peuples sortis des rails budgétaires, et, en France, un discours asséné sans relâche par une gauche auto-proclamée de l'"impératif de respecter nos engagements vis-à-vis de l'Europe", justifiant des atteintes irrémédiables aux institutions sociales protectrices des individus contre les aléas économiques, tout ça a accouché d'une dépression générale et d'un Front National plus dangereux qu'il l'a jamais été, et des résultats des élections municipales.

Le PS (hors son aile "républicaine") et Les Verts ont appuyé à fond la construction delorienne depuis plus de 30 ans. Les premiers, ligotés par le SPD et le gros soufflé "Internationale Socialiste", les seconds par rejet du totalitarisme, fascination régionaliste et fédérale et rejet absolu des Etats (qu'à les entendre parfois on aurait cru totalitaires par essence).
Fort à parier que, pour les raisons indiquées plus haut, le PS n'en soit qu'au début du calice et qu'il lui en reste 80% à ingérer aux européennes. Resterait alors un cadavre de parti "de gauche" probablement recentré vers un centrisme social-libéral (qu'on se souvienne que les jeunes giscardiens de 1974 s'étaient nommés "Génération sociale et libérale"), et à reconstruire la meilleure œuvre commune de Mitterrand et du CERES en 1971, un parti socialiste désaliéné de ses vieux démons sociaux-démocrates et reflétant les principaux courants de ce qu'on a appelé "le mouvement ouvrier", que Rosenvallon contribue à redéfinir avec un certain bonheur.

Productivisme, protectionnisme, écosocialisme : convergences écologistes ou conjoncture ?

Les écologistes, aujourd'hui répartis entre EELV et Parti de Gauche, ont vocation sinon impératif à se parler. EELV est titulaire d'une sensibilité indispensable, voire intransigeante, aux conditions écologistes de la conservation de la planète et de la vie, le PG, à l'ancrage socialiste (non-assimilable au PS) la partage un peu plus chaque jour. Le spectacle de dégradation quotidienne de l'environnement leur donne communément raison, le dossier encore brûlant de Notre Dame des Landes et des "dépenses inutiles" les a déjà unis et les unira encore, au-delà, c'est la critique commune du "productivisme" qui constitue le plus sûr ciment entre les deux pôles écologistes.

Aucun doute, la sensibilité européenne est plus historique chez les premiers que chez les seconds, mais quand les premiers se voient dépositaires d'un idéal, les seconds, qui se sont toujours voulu des européens critiques, gardent le regard sur ses éventuels ratés (il y en a eu tant) pour éviter toute déconnection avec le réel.
Les premiers ont juré par les régions contre les départements et l'Etat, ressenti comme caution du nucléaire et ultra-centralisateur; sans rien concéder sur la centralisation, on croit relever chez eux désormais des discours de complémentarité. Les seconds, réputés jacobins, ont rejeté les régions par attachement à la République et à son module de base, le département, et par rejet d'une fascination réelle ou supposée des premiers pour les Länder allemands. Et acceptent aujourd'hui que la région soit "la bonne dimension pour enclencher les bifurcations écosocialistes" (François Delapierre, "Libération" du 11 avril 2014).

Pour ne pas parler de la progression dans tous les esprits de l'idée du nécessaire protectionnisme, EELV le déclinant exclusivement à l'échelon européen, le PG l'assortissant seulement de l'impératif de "solidarité". La divergence est encore importante.

Mais on est loin désormais des clivages d'antan, on se distingue de ci-delà côté EELV de la "deuxième gauche", après un soutien long et sans trop de faille à l'aile anti-étatique et décentralisatrice du PS, la critique ouverte du nucléaire et l'intégration de l'écologie dans son corpus idéologique modifie le lien historique du PG avec le "première gauche".

Restent des dossiers qui restent autant d'éléments de clivage, les départements, les langues régionales, et, au-delà, le regard à porter sur la République, l'organisation du territoire, et la nature-même du lien entre les nations et l'Europe. Ce qui n'est pas mince, il faut en convenir.
Mais, à l'occasion du remaniement ministériel intervenu début avril et sa non-participation au gouvernement, il n'y a pas eu de "virage à gauche" d'EELV : s'est actionnée, insensiblement, une mécanique dialectique par laquelle deux cultures, sans rechercher quelque fusion que ce puisse être, en gardant leurs Histoires et leur corpus, commencent à se regarder après s'être ostensiblement ignorées.

Pour l'Europe ?

C'est celà qui, sans qu'il soit question de listes communes aux élections européennes, peut contribuer à ouvrir un vrai débat politique, inaugurer une saison d'échanges, faire de ces élections un enrichissement, plutôt que ces joutes sempiternelles et souvent obscures avec souvent des différences en queues de cerises mais des mépris ostentatoires et contre-productifs.

On va peut-être pouvoir parler d'Europe en d'autres termes que de confrontation entre sociaux-libéraux-libertaires et jacobins attardés, ou la déception reprendra ses droits : après tout les gauches ont là-dedans un abonnement pluri-décennal. Mais aucun miracle n'est exclu, sous l'effet d'une crise de quarante ans qui s'est muée en véritable système, pas impossible, en y mettant évidemment le temps et la patience nécessaires, que les yeux, puis les bouches, s'ouvrent enfin, et que l'Europe, de fantasme miraculeux pour les uns et de repoussoir pour les autres, devienne un terrain de construction indissociablement sociale et écologique.

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