samedi 20 février 2016

MOI, UN CHÔMEUR ? LA BONNE BLAGUE...

Tout a commencé avec le remplissage du questionnaire de Viadeo et de LinkedIn, en 2006 ou 2007, ou plus tard. Boutades, ironie, morgue; quelles fumisteries, ces réseaux sociaux de relations entre entreprises et demandeurs de travail, prenons-les de haut.
Jusqu'au jour où...

Et avec le décrochage progressif du cadre moyen de diffusion de livres. Sa sensation que ça ne pourra pas durer, trop de décrochages suivis par des dépressions, des arrivées au bureau le matin, asphyxié d'angoisses à la première lueur de l'écran d'ordinateur.

Jusqu'au jour où l'entreprise décide que la coupe est pleine,
et licencie.

L'annonce

Tout, ensuite, est cascade d'images froides, mordantes. L'annonce du licenciement par le chef dans son bureau, le soir du 4 décembre, les couloirs vides, la nuit au dehors. Le retour chez soi en silence, le "tout-va-bien" de rigueur, raisonnablement souriant, au moment de préparer ensemble la popote. L'entretien préalable au licenciement aura lieu le 11, impossible de maintenir le secret pendant une semaine : l'annonce de la gifle se fera le 8, autour d'un Kir au "Petit suisse", face à l'Odéon; Cathrine sera, au premier jour du nouveau régime contraint de notre vie commune, et constamment depuis, exceptionnelle.
Emmanuel, Ariane, prévenus deux jours avant, prennent mon relais, déploient une immense toile d'affection et de solidité. Le socle est là, qui résistera.

Entretien préalable
L'entretien préalable dans un carton à chaussures sans fenêtre de 5 ou 6 mètres carrés. Deux hiérarques d'entreprise, le salarié visé (en réalité déjà licencié), son délégué syndical. Egrenage d'un chapelet de griefs, contre-argumentation du salarié, ça dure environ une heure.

... J'ignore encore que rien n'y fera; c'est plié. Un REC-AR daté du 18 décembre retiré à la Poste ré-égrenne le chapelet et conclut par :"Vous ne nous avez pas convaincus".
Dans une naïveté confondante, ce 11 décembre, j'ai oublié de porter un détail à la connaissance de mes vis-à-vis : besoin de six mois d'activité, seulement six mois, pas plus. Différez, la gifle indolore pourquoi pas. Je ne l'ai pas dit, sûr d'avoir été écouté et compris. Evidemment.
Ben voyons.


La vie licenciée


Le 21 décembre, fil coupé, début de la vie licenciée. Trois mois de préavis non-travaillés avant-chômage, vite, décrocher des rendez-vous, convaincre, trouver, refermer la parenthèse aussitôt ouverte.
... Devenir autoentrepreneur !


Des témoignages. Des messages inespérés. Employé(e)s de l'entreprise licencieuse, famille, Ami(e)s. Tel de ces Amis, qui, entre des cours, recherches et tribunes, mobilise son temps et sa famille pour me guider dans ce nouveau noir opaque. Telle autre dont je sais la vie, leur vie si dure, elle et son mari, et qui m'envoie message sur message d'encouragement; tel autre, grippé, aphone, qui m'oblige à lui parler au téléphone en faisant la cuisine et me répond, point par point, façon McGyver social.
Tel employé de l'entreprise licencieuse, ses mots saisissants et avec lequel je partage un repas, tout près de l'entreprise; tels éditeurs qui me reçoivent et me conseillent, vite. Tels dir-comms qui ne cachent rien du possible ni des impasses, parmi eux un sphynx inlassable d'aide discrète, tous combattants lucides. Des amis-camarades de syndicat. Un délégué syndical. Sacré numéro, celui-là. Un bourru, inflexible; pour lui, ce n'est pas l'injustice qu'il faut craindre, puisqu'elle est déjà là : c'est nous, nos faiblesses, nos appétits pour les petits compromis qui font les cimetières de nos vies sociales déjà abimées. Ce tempétueux redouté (autant par ses directions que par "le" syndicat concurrent, la cfdt), m'a appelé. Envoyé des SMS. Des mails. Tous les jours, vous lisez bien, tous les jours. "Ca va ?", "Donne de tes nouvelles", etc...
A mon avis, dans son esprit il ne faisait que son boulot.


Des galères, dès les premiers temps :
- "T'inquiète, six mois de boulot, tu parles, je te trouve ça. Et envoie-moi ton livre, juré, je t'en reparle".
C'était il y a trois semaines ou plus, et depuis, silence, malgré relance.
- "Très bien, votre projet !" - "Vous êtes sûr ? Je ne pense pas vous être utile". - "Ah, bien au contraire. Rappelez-moi sans faute".
Sans faute il y a dix jours, mais le téléphone ne répond pas. Plus.

Des astronefs lumineux. Libraires, gens de passage dans ma vie, perdus de vue, re-contactés. Telle, aujourd'hui cadre d'un grand groupe d'édition. "C'est en bossant avec toi, quand tu démarchais mon site internet balbutiant appelé à grandir, que j'ai eu envie de poursuivre dans les livres." - "Plaisanterie". -"Non, même pas. Mais bon, rien à te proposer, en ce moment".

... Mon livre. 32 000 mots d'un quasi-testament "intellectuel" (grands mots et puits sans fonds), bagage improbable, miroir courtisan et traître. Que faire de 60 pages qui balancent tout l'impensé de nos vies, quand personne ou si peu de gens consentent à un regard distant sur le tout-venant ? Elles ne m'aident pas, ces pages, et pourtant elles existent, c'est tout le complexe de la période.

La vie licenciée a commencé un 18 décembre,
Le début de la mobilisation "pour-refermer-la-parenthèse-malencontreuse-au-plus-vite" a commencé trois semaines plus tard, post-trêve des confiseurs.
Et la fin du préavis est dans un mois.

Convaincre des "actifs", pas au sens "Trepalium", déjà engorgés de demandes de travail, de CV, saturés d'appels à l'aide de gens qui n'ont eu ni préavis non-travaillé ni forcément d'indemnité après une enfilade de CDD, qu'un naufragé de l'économie de 59 ans peut leur être utile. Un mois, deux, six mois idéalement; en en rabattant sérieusement sur la prétention salariale.
Comment faire qu'ils ne croient pas en un délire d'ancien privilégié congés-payés-voiture de société-primes-etc..., surtout quand je leur dirai que, technicien de surface, oh, vous savez, pas un problème pour moi ?

Et pendant ce temps...
Tandis que notre monde alentour n'en finit pas d'être aligné partout sur le moins-disant général. Une mutation, dit-on. L'idée sociale est peu à peu dépecée par notre confrontation mortifère avec d'autres humains, tout près de nous ou très loin, dont les lois sacrées de l'économie financiarisée, des porte-conteneurs géants et des transports par camions dérégulés font des concurrents, nos concurrents.

Dans mon baluchon-foutoir de sourd et aveugle volontaire aux horreurs de ce temps, se terrent Femme et Enfants, Amis, camarades, famille, fraternité, ouvrière ou non, le bonheur d'une humanité singulière. Et la conscience utile d'une jungle aux lianes épaisses, le "terrain de jeu" de nos vies.

Merci pour tout.









samedi 30 janvier 2016

ADRESSE A LA GAUCHE AVANT SON SUICIDE

Il n'y a jamais eu une gauche mais plusieurs, rappelait Régis Debray dans "Le Monde" ces derniers jours.

Spécificité du moment : les gauches vont, chacune, vers le suicide, y entraînant "la" gauche collectivement, et l'idée-même de combat contre l'inégalité. La prochaine échéance déterminante, l'élection présidentielle, s'annonce pour la gauche comme un hyper-Waterloo.

La gauche officielle...
Les responsabilités ne sont pas égales. Le bloc de gauche au pouvoir est engoncé dans la haine de soi, refoule idées et identité de gauche pour, officiellement, coller à la réalité d'un capitalisme en convulsion depuis 40 ans et, toujours officiellement, en dégager des marges de manœuvre sociales. A ce jeu pervers du "ruissellement" économique il a perdu sens et valeur; son salut est dans un no man's land idéologique à dominante centriste, comme pour valider à tout prix le fameux mot de Lionel Jospin : "Le centre, c'est comme le cap Horn : quand on y est, on y disparaît".

... Et l'autre
Il y aurait une autre gauche. Score électoral optimal, obtenu en 2012 sur la candidature de Mélenchon : 11%. Plus de 3 millions de voix, important mais insuffisant pour arriver à inquiéter la gauche officielle, et si totalement et absurdement dispersées que le produit le plus sûr de ces 11 millions de voix, trois ans après, est un soufflet effondré.

Tout le monde au sein de cette autre gauche nomme les maux qui la clouent au sol, sans trop chercher tant ils sont évidents : disqualification du collectif entraînant partis et syndicats (or l'autre gauche est encore un enfilement de boutiques), divergences quant à la stratégie face à la gauche de gouvernement - et quant à la stratégie, tout court, dossier le plus touffu évidemment.
L'autre gauche est à la fois consciente de sa dépendance totale vis-à-vis de la présidentielle pour percer dans son propre électorat, et militante pour une 6ème république condamnant la personnalisation du pouvoir - dont l'élection présidentielle est une illustration puissante. Fait-elle, pour sortir de la contradiction par le haut, le seul choix rationnel (qui serait en même temps un coup de poker, ne nous le cachons pas), jouer à fond le jeu de l'élection présidentielle pour, après instauration d'un vrai rapport de force électoral, basculer dans la 6ème république ?

Non.

L'autre gauche prépare la présidentielle avec l'esprit, contraire, de la 6ème république. Toutes ses boutiques ouvrent (du PCF aux trotskystes en passant par EELV) sans qu'aucun client n'y pénètre plus, aucune ne s'accorde sur la gestion commune de leur fonds de commerce par un représentant unique.
L'autre gauche veut bien de l'élection présidentielle mais en refuse la logique, désignation d'un(e) candidat(e), constitution rapide de groupes de travail en vue de l'élaboration d'un programme, etc...

De sorte qu'à un an de l'échéance elle se suicide, imitant dans l'opposition, et par d'autres moyens, la gauche officielle qui fait de même au pouvoir.

D'autant plus stupide et ridicule que les vents ne lui sont pas tous défavorables, loin de là :
. L'Expérience grecque démontre la vanité de toute tentative d'accommodement "intelligent" d'un gouvernement de gauche avec des puissances financières qui, sous prétexte d'apurement économique, cherchent à mettre durablement son pays à genoux. Personne ne peut nier le courage et le punch de Tsipras pour jouer le jeu de ses créanciers et éviter une sortie de la Grèce de la zone Euro, Tsipras ne peut pas nier qu'il a perdu son pari.

Au-delà du cas grec la leçon est à tirer : le jeu social-démocrate de composition avec le capital, dans l'espoir de tirer des gains sociaux des richesses produites, ce jeu-là, partout, échoue dès les premières contractions de l'économie.

C'est à ce jeu-là que joue encore la gauche officielle en France, avec pour tout bilan des centaines de milliards d'euros publics engloutis en aides aux entreprises pour, officiellement, faire repartir l'emploi, et, en trois ans, 668 000 chômeurs supplémentaires.

Il y a là une leçon structurelle à tirer, que l'autre gauche aurait tort de ne pas exploiter.

. L'autre gauche a un chef naturel. Elle le sait sans vouloir se l'avouer, il le sait et se l'avoue sans doute ni complexe. De là un hiatus mortel.
Extraordinaire, comme les dizaines de milliers d'adhérents qui ont quitté le PS depuis 3 ans se sont bien gardés d'adhérer à un autre Parti, ou comme les économistes, intellectuel(le)s, élu(e)s en délicatesse avec le même PS disparaissent des radars politiques, ou, comme tel économiste, choisissent de fonder une n-ième chapelle de gauche (La nouvelle gauche socialiste, en l'occurrence) plutôt que d'en intégrer une existante.

Cela porte un nom : la stratégie d'évitement.
Ou la dérobade, comme on voudra.
Dans les deux cas, une mort de gauche est en gestation.

L'autre gauche doit se dépasser !

Le dépassement, c'est croire en plus grand que soi. L'autre gauche se le doit, plutôt que de mourir.
C'est, pêle-mêle, pour le leader naturel de ce qui fut le Front de Gauche, continuer de croire à sa valeur politique et intellectuelle, incontestable, et pour celà faire un travail d'académicien, visiter, parler et convaincre, partout, directement et sans bruit. Il sait quelles réticences précises il affronte, soupçon de jeu personnel, de caractère auto-centré et bouillonnant (pour ne pas dire incontrôlable). Il a toute la ressource pour vaincre l'obstacle, il en connaît l'enjeu capital. Une image est à abattre, une personnalité doit encore émerger et il y a urgence.

C'est, pour la galaxie de l'autre gauche, en finir avec les comportements boutiquiers, postures opportunistes, et phobies, d'un autre âge, de l'homme providentiel faux nez d'un nouveau général Boulanger. C'est, pour tel Parti, remiser son complexe de supériorité, brandissant l'étendard européen d'un côté (européens, nous le sommes tous) et vouant tout autre parti à n'être que le monde ancien; pour tel autre, d'en finir avec un complexe d'exclusivité hérité de ses années fastes et qui, avec constance, se fait facteur bloquant de toute évolution institutionnelle de la gauche; pour tous, accepter qu'émerge enfin ce qu'aurait dû être le Front de Gauche, nouvel animal politique regroupant une gauche tout à la fois régénérée, élargie, attachée aux valeurs issues des Jours Heureux de 1944 et au salut de la planète par un écologisme retrempé.

C'est pour nous tous un effort pour dépasser certaines catégories de pensée; il nous faut cultiver la critique, la contradiction, la pensée plurielle, plutôt que de laisser les systèmes médiatiques se faire les porte-voix de leurs caricatures. Il n'y a pas de contradiction entre le militantisme laïc et l'étude attentive (et rigoureuse) des évolutions du Pape François, ni entre la dénonciation de l'exclusion de la Russie du jeu moyen-oriental et l'examen tout aussi attentif et rigoureux des stratégies de l'armée russe sur le théâtre des opérations. La même dénonciation d'une marginalisation recherchée de la Russie ne doit pas éviter les examens de la situation politique russe. L'examen pointilleux des actes et propos d'un Michel Onfray, son écoute l'été sur France Culture, désarment tout soupçon de "droitisme" chez lui.

Et mille autres cas pourraient être cités, où l'impératif de rester nous-mêmes doit s'accompagner, dialectiquement, d'une puissante et libre culture de l'examen des idées, toutes les idées.

* * * * * *

Ce petit monde s'embrase, et nous ne nous armons pas pour combattre l'incendie.

La gauche politique et syndicale, française et européenne, est un grain de poussière. Emportée, laminée par la vague néo-libérale, vidée de ses adhérent(e)s et de ses électeurs et électrices, elle continue pourtant de cultiver des oppositions de points virgules, hors d'âge et de propos.

Jaruzelski, en 1981, disait à ses concitoyens qui voyaient les chars russes envahir leurs rues : "La Pologne vivra tant que nous vivrons". Pas si creux que cela, quand on y regarde à deux fois : nous sommes à deux doigts, ici et maintenant, de nous éteindre, en tant que contributeurs(trices) à un nouveau monde. Qui, du coup, est à deux doigts de ne jamais émerger.


http://melenchon.fr/2016/01/24/discours-de-conclusion-du-sommet-pour-un-plan-b-en-europe/






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