samedi 20 mars 2010

LES LECONS D'UN SCRUTIN

PREAMBULE

Après six mois qui contribuèrent davantage à mon usure que trente ans de lavages de voitures ne l'auraient fait, j'ai voulu retracer les dernières heures de la séquence électorale du 14 mars, afin d'en livrer vision et conclusions personnelles.
Comment conclure sur quelque note que ce soit, espoir ou dépit, quand la donne reste entièrement ouverte faute d'être partiellement fermée, que faut-il penser d'évolutions absolues des uns qui contrecarrent, sans nécessairement les compromettre, les progressions relatives des autres?
C'est à ces questions que ce récit prétend répondre avec une objectivité incontestable.
A chacun(e) d'apprécier selon son tempérament et sa sensibilité.
Pour ma part, les choses sont claires : plus que jamais, je resterai fidèle à mes anchoix fondamentaux.

DIMANCHE 14 MARS
SEVRAN
PREAU CRETIER
19H45.

Le préau Crétier grouille de centaines de partisans des listes en présence, gonflés d'esprit démocratique, soucieux d'un remplissage méthodique des sous-sols de la Cité des sports à l'aide de quelques partenaires politiques pré-sélectionnés dès la fin du premier tour. Une atmosphère fébrile accompagne l'apparition, sur écrans géants, des résultats obtenus par chaque liste dans tous les bureaux.

De plusieurs cars stationnant non loin de la Mairie, descendent des centaines de supporteurs joyeux d'une des listes majoritaires; tout droit sortis d'un tournoi de base ball et encore munis de leur matériel sportif, ils sont heureux de contribuer de toutes leurs forces à la concrétisation du grand espoir démocratique qui accompagne la liste "Union de ceux à qui on ne la fait plus".

UNE TENSION PALPABLE

Pénétrant gaiement dans le préau Crétier, ils aperçoivent, tapis dans un angle mort du préau suintant d'humidité, visages glâbres, regards vengeurs et fielleux d'adversaires acharnés du progrès, la totalité des trois partisans de la liste "Union de ceux à qui on ne la fait pas"; dans l'attente résignée de leur inéluctable déroute, ceux-ci se trahissent par leurs allures conspirationnistes, ils laissent transparaître leurs idées visqueuses, d'un autre siècle, condamnées par la marche universelle vers le bonheur.
Joyeusement, les joueurs de base-ball font résonner leurs battes sur des murs du Préau, acclamés par une foule en liesse, non loin des trois partisans de la liste "Union de ceux à qui on ne la fait pas"; cinq d'entre eux pris de culpabilité bien compréhensible envisagent de quitter la salle.
La tension est à son comble.

LE MAIRE DE SEVRAN ARRIVE AU QG ELECTORAL

M. Jean-Pierre Goupillon fait son entrée dans le préau, suivi par le premier magistrat de la Ville, M. Stéphane Grattechignon. Acclamé par plus de cinq-cent mille partisans, ce dernier déclare d'emblée être "sûr de la victoire de sa liste" (Silence-teuheu-silence) et que celle-ci "ouvre (hummm - toux) la voie à une société plus juste, plus humaine et plus fraternelle, tchu vois..." (toux).
Ceci, sous le regard interdit de Mme Danielle Berné.

Les premiers résultats d'un bureau de 50 inscrits annoncent l'écrasant succès du Front de Fauche, qui y avait dépêché quarante assesseurs spécialisés (inscrits : 50. Abstention : 0. Front de Fauche : 97 suffrages validés). M. Michel Dosrond apparaît alors à la tribune et déclare que "Chaque suffrage pour le Front de Fauche sera autant moins de suffrages pour nos adversaires, ce qui prouve que des initiatives actives quantitatives significatives de Camarades allant dans le sens d'actions importantes pouvant ouvrir la voie à des réponses concrètes aux besoins humains populaires du peuple des Hommes et des Femmes rassemblés auront pour effet que la liste Continent-Hémorragie peut aller se faire niquer sa Mère".
Le Maire de Sevran s'adresse alors à un de ses proches, M. Emmanuel Kujavachi : "Eh, oh, çui-là, on l'a pas mourru ?!", à quoi M. Kujavachi répond que "une probabilité relative tirée d'un ratio tempéré des données statistiques en vigueur au niveau des tendances moyennisées des grands équilibres généraux ne permettait pas d'établir en l'état la pertinence de cette information".

L'IRRUPTION DU PREMIER ADJOINT

A l'annonce des résultats d'un nouveau bureau, confirmant l'immense avance de deux voix du Front de Fauche, MM. Branché, premier adjoint, et Jean-François Brouillon, adjoint, font irruption dans le préau. L'accueil enthousiaste de deux supporteurs présents par hasard, pour lesquels trois cars à doubles niveaux avaient été réquisitionnés depuis cinq départements limitrophes, est vite couvert par l'entrée triomphale du leader sevranais du Parti de Fauche, acclamé par dix-mille personnes massées dans la partie ouest du préau Crétier.
A M. Michel Dosrond, qui affirme l'engagement du Parti Cornettiste Français pour une société "plus juste, plus humaine, plus fraternelle", M. Branché répond qu'en opposition au "vieux" modèle proposé par M. Dosrond, Continent-Hémorragie propose de son côté une société "plus juste, plus humaine et plus fraternelle".. M.Gilles Kujavachi, chef du plus grand Parti de Sevran, ami de ceux qui souffrent, ennemi de ceux qui vont bien, approuve "des orientations globales qui, contrairement aux insipidités développées par les autres Partis, iraient dans le sens d'une société plus fraternelle, plus humaine, plus juste". .

L'ECHEANCE

A 23h, les milliers de supporteurs du Front de Fauche et les deux supporteurs pâles, porteurs des plus réactionnaires régressions sociales que les classes sans thunes aient jamais subies, attendent impatiemment la proclamation des résultats.
M. Grattechignon monte à la tribune. Grave, il déclare "Ouais, cette campagne a été dure, c'est dur, tout est dur et tout ce qui est à venir est (teheu) dur", Constatant à regret "L'immense succès du Parti de Fauche", et le score de L'Union pour un Piment Moléculaire, il demande le silence à la horde de ses deux partisans et annonce pour l'été 2006 (financement sur l'excédent budgétaire en impasse équilibrée de 2007) la construction d'un métro intra-urbain à vapeur non-fossile froide peu polluante reliant le 1O et le 26 avenue Hoche. Le leader du Parti de Fauche, M. Gilles Kujavachi, annonce un accord sur le métro, prévu dans la prochaine nuit entre les deux Partis, vers 3H30 du matin, peu avant l'apéro, sur la base d'un conducteur sur deux appartenant de façon authentifiée au camp républicain qui observera un arrêt à la station "Maurice Berteaux".

Puis, toujours grave et retenu, le Maire passe aux aveux.
"Inscrits : 20 000
Votants : 22 000
Front de Fauche : 22 500
Continent-Hémorragie : 2.
Le Maire poursuit : Le camp majoritaire travaillera avec la majorité des minoritaires, si ceux-ci minorent leur potentiel majoritaire, et à charge pour eux de payer un coup aux majos"

M. Jean-François Berné engage un aparté avec M. Michel Bouilloire et M. Hysteriat, au terme duquel ce dernier se sépare gaiement mais à grand peine du noeud coulant que M. Berné lui a fixé autour du cou en extrayant une potence portative du coffre de son véhicule.
M. Broque, adjoint à la sécurité, la tranquillité et la dialectique, convient avec M. Poutrelle, autre adjoint, de l'urgence d'agir sans attendre pour des actions rapides et sans délai. Ce dernier convient de l'attente forte pour des actions agissantes en vue d'agir concrètement pour développer les concrétisations d'actions.

A 23h46, le Maire de Sevran prononce la fin du scrutin.

POSTAMBULE
(non, il ne s'agit pas d'une mégalopole turque)

La soirée du 14 mars s'est bien passée comme ça, plusieurs témoins le confirmeront.
A présent, prudence, petits pas et gros risque, pointe l'envie de sérieux. Aller dans une réalité politique qui m'a explosé à la figure, essayer d'exprimer une vue sur le fond, risquer un constat, une fois encore pessimiste, sur un scénario politique.

Pour quelques-une d'entre nous, qui avions suivi avec passion ses batailles pour sa Ville, son travail acharné, son refus inébranlable de toute fatalité face à l'inégalité structurelle qui frappe Sevran (tout celà relevant à mon sens d'un fort contenu républicain), la migration / mutation de Stéphane a créé une acrobatique obligation de choix. Les termes des messages de novembre 2009 étaient clairs : on veut continuer et gagner politiquement, ce ne peut être qu'avec Europe Ecologie.

Mille fois respectable et légitime, cette migration, mais pour qui continuait mordicus à vouloir soutenir la belle action menée depuis 2001 sans vouloir suivre son artisan principal dans Europe Ecologie, l'impasse était - et reste aujourd'hui - à peu près totale.
D'où ce qu'on appelera modérément de l'écartèlement et du tiraillement.

Aujourd'hui que le grand bazar démocratique - ou campagne électorale - est terminé, place à un court commentaire. Tentative de dépasser le scénario en place, de jeter un regard qui se veut distancé sur un objet politique au centre d'un gros débat, les rapports entre le pôle Europe Ecologie et l'"autre gauche", en général et au prisme de Sevran. Sans autre ambition que de créer une mousse de réflexion autant que possible contradictoire, et compenser le désert intellectuel, l'impensé radical, à mon avis inacceptables, qui ont accompagné cette dernière période.

Le constat, c'est celui d'un évitement mutuel et militant. On se fréquente, serrements de mains, réunions de travail où les arrière-pensées sont Reines. Faut faire avec, en ne pensant pas moins que les uns ont voué les autres à une mort (politique) rapide, les autres classant les premiers du côté adverse de la barricade. Ambiance. Inconscience d'un fait banal mais bien là : il y a certes des contradictions mais aussi des idées communes, et, plus encore, il y a des millions de gens dans la mouise que ces postures d'ignorance mutuelle desservent et agacent.

Qu'entend-on d'un côté? Urgence écologique et sociale, impératif d'en finir avec les verticalités politiques - pour ne pas dire avec une gauche supposée lente et sclérosée, dans laquelle la répétition, à satiété, de doctrines figées sous le contrôle d'appareils bureaucratiques tient lieu de plans d'actions - le tout, au prix de la désertion des lieux de mouvement de la société et d'une cassure durable entre société et politiques.

Argumentation recevable dans l'absolu, si tant est qu'elle soit fidèlement traduite ici.
J'ajoute - en prenant des risques, mais c'est toute la jouissance d'être minoritaire - que toute organisation qui s'exonère d'auto-critique et de remise en question entâche durablement sa crédibilité, un jour ou l'autre.

Ces discours ont un appendice qui fait tout le problème : l'invitation à s'ouvrir à l'avenir, l'injonction à arrêter de regarder le passé, renoncer au rétroviseur, etc..., qui reviennent de façon répétitive, pourquoi pas, et s'accompagnent d'un énorme silence sur l'"avant". De la construction européenne, on n'entend plus parler. Du TCE, et de son avatar de Lisbonne, des procédures parlementaires d'adoption, plus rien. Si récentes qu'elles soient, la chasse aux racines est ouverte.
Et la gène de s'installer, et le tiraillement de prendre le relais.

Le problème n'est ni de contester la lourdeur d'appareils vidés de sens et de culture, mobilisés par leur seul instinct de survie, ni de refaire l'Histoire récente de l'Europe; la voie libérale et post-nationale tracée par les traités est aujourd'hui, mille fois hélas, une réalité. De là à la passer sous silence, il y a un pas infranchissable : l'occultation vaut oubli et accord par défaut. N'exonérons pas la construction européenne des critiques que nous avions portées en 2005 et qui restent pertinentes, quel que soit le chemin parcouru depuis; ce qui est en jeu, c'est une capacité critique, un regard sur l'Histoire récente que seule la mémoire autorise. Face à un tel enjeu, la charge contre "le rétroviseur", contre une prétendue tentation de refaire l'Histoire pour ne pas voir l'avenir en face ressemble à s'y méprendre à de la censure politique et intellectuelle (on n'ose dire "un déni démocratique").
Si, en un même paquet, l'accord pour l'urgence écologique valide la construction européenne et les traités européens, alors qu'ils sont encore sous le feu de la critique puisque le traité de Lisbonne entre en application cette année, la maldonne est totale.
Les passéistes maladifs ne pourront s'empêcher de penser à Giscard d'Estaing, qui tenait le discours manichéen du passé dressé contre l'avenir, et raillait Mitterrand et son "obsession de revenir à la Révolution française".

Quel obstacle subsiste à une association de la dynamique écologiste et sociale et d'un débat critique sur la construction européenne?
Ne peut-on éviter cette sensation malaisée qu'une adhésion à l'écologie passe par une amnésie sur un domaine aussi important, et tous les soupçons qui ne peuvent qu'aller avec ?


Qu'entend-on de l'autre côté ? L'argument des "amoureux des petits oiseaux", un autre argument d'une urgence sociale balayant toute autre urgence, y compris écologique, perdent du terrain... mais demeure un soupçon, latent, d'une écologie cheval de Troie du libéralisme.

Recevable, quand on se réfère aux vieilles sources de l'écologie, souvent romantiques et "de droite", et aux discours récents, libéraux-libertaires, souvent purement libéraux et européolâtres, des ténors Verts.
Irrecevable en revanche est l'aveuglement devant des catastrophes naturelles prévisibles à court et moyen terme, et de tirer prétexte de ce que l'écurie écologiste serait mal fréquentée pour réfuter l'évidence des périls, et remettre à toujours plus tard des décisions de nature à les éviter. Irrecevable et politiquement à courte vue.
L'aggiornamento sur l'écologie est utile : une écologie sociale, sans doute la plus importante, se décline humainement depuis les premiers jours du socialisme via la solidarité qui en est le socle (façon de dire qu'une écologie sans solidarité collective, donc avec Etat minimum, est une duperie). Autant le savoir, elle fait partie du patrimoine génétique de la gauche.
En ce sens, la revendication d'une société équilibrée, le refus de nos vies englouties dans des visées de business, d'accumulation et d'accélération, sont des fondements communs de l'écologie et du socialisme contemporains.

Il est question plus haut d'"écuries mal fréquentées". Le héraut de l'écologie d'aujourd'hui est probablement celui qui a le plus fait pour en éloigner bon nombre de soutiens potentiels, à commencer par ceux de l'"autre gauche". Je suis de ceux qui ne peuvent l'entendre sans me rappeler les appels aux privatisations et les démonisations appuyées des opposant(e)s au TCE.

Dans le même temps, grand souvenir des grimaces et contorsions qui prenaient les assemblées du Mouvement des Citoyens lorsque j'émettais, posément, un doute sur la sécurité de l'enfouissement des déchets nucléaires ou un souhait de l'abandon du tout-automobile.

Qu'en conclure? Qu'un socialisme écologique est possible et souhaitable, que la recherche de croissance par des productions durables non-délocalisables est un pas important, qu'elle n'épuise pas, très loin s'en faut, la question des rapports de classe dans l'économie et la société et surtout la question - laissée dans une jachère dangereuse pour l'instant - de la transition entre l'ancienne économie et la future.

* * * * * *

Ainsi vont les commentaires courts.
Que les bouches s'ouvrent, car il y a du débat laissé en friche; la question sera toujours celle du bonheur individuel et collectif, la réponse aura toujours à voir avec le courage présent et la mémoire.
Que Marceau Pivert nous assène encore que tout est possible, contre un courant moderne qui subordonne, un peu maladivement, le possible à une victoire et en fait exclusivement l'issue d'une compétition.
Voilà peut-être un thème qui unira les clairvoyances et les bonnes volontés, sauf s'il est déjà trop tard : on se portera tous mieux le jour où la compétition aura disparu pour toujours des obsessions humaines.

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