dimanche 15 novembre 2009

MISSILE DE CROISIERE

Salut Marceau !
On se retrouve après des mois...

On n'imagine pas tout ce qui peut se passer dans une Ville où il ne se passe rien.
Enfin, presque rien.
Le cadre : Sevran. Ville de banlieue, éligible au rang de chair à pâté pour la crise endémique du capitalisme. D'un côté : quartier pavillonnaire, canal, centre-ville; centre commercial, des PME, des Cités ghettos de l'autre. Avec le chaos, on devine de quel côté, plein de jeunes sans emploi ni ressources, une population dans le rouge économiquement et socialement et des finances locales dans le rouge-vif.

Donc, il ne se passe rien, sauf...
... Sauf quand les Cités implosent, sauf quand un Maire élu en 2001 (il en a déjà été question ici) ne se résout pas à diriger une ville mourante et en asphyxie financière. Huit ans après son arrivée, la Ville ne meurt plus, ses finances sont toujours fragiles mais la Ville commence à croire en l'avenir. Travail local titanesque, offensive un peu folle, irraisonnée, pour l'inclure dans les plans départementaux et nationaux de redynamisation des banlieues...
...Yes, he can, en quelque sorte.
Pardon, Marceau, ça signifie, en gros : oui, il (le Maire et son équipe)l'a fait.

Le reste est peu de chose comparé à ce qui précède, mais ça a bien occupé les mois d'octobre et de novembre : l'éternel jeune Maire, qui fut élevé au biberon post-bolchévique, se sentait depuis longtemps dans la maison communiste comme la chèvre chez Monsieur Seguin. On la fait courte : un beau matin il signifia son départ au taulier Colonel Fabien (à la taulière, précisément)et alla se lover dans des bras verts et attendris. Traduction : à l'approche des élections régionales, l'ex-communiste a déménagé chez Europe Ecologie.

Gasp.
La chèvre de M. Seguin s'égarait, se perdait, allait vendre son Ame à des loups écolos souriants qui allaient le hacher-menu pour en faire du transgénique Monsanto, ou je ne sais quoi d'encore plus satanique.
Notre mission, si nous l'acceptions, était claire : nous, qui pourfendons depuis des lustres ce tas de gugusses verts qui te vendent leurs petits oiseaux contre la conversion de tes idées socialistes en bouillabaisse libérale, nous donc, allions ramener notre chèvre chez le Camarade Seguin. Allez, ouste, finie la récré, retour à la maison-mère faucille et marteau, dictature du prolétariat à tous les étages et mur de Berlin transposable entre la place Gaston Bussière et la place Crétier. Sauver le soldat S.G. malgré lui. Si notre mission échouait, le département d'Etat nierait avoir eu connaissance de nos agissements.

Pfff... Je rigole aujourd'hui, Marceau, plus qu'il y a quelques jours.
C'est que, pour moi, ces gugusses verts n'ont jamais incarné de grandeur politique. Sérieux, Marceau, la cause écologiste, le rééquilibrage de la vie en faveur de la préservation de la planète, était visionnaire et juste, mais ils l'accompagnaient d'un bagage idéologique qui te faisait préférer un EPR à un champ de patates douces. C'est dire. Individualisme à tout crin, opposition aux Etats au profit des régions, gloussements attendris devant la mondialisation libérale et mariage en grande pompe avec l'anti-totalitarisme post-soviétique façon gauche-caviar, théories éducatives inchangées depuis 1968 (le fameux "L'enfant au centre du système éducatif" de Meirieu), c'était lourd, lourd...

Et puis, patatras, j'ai des convictions. Sans études ni culture scientifique, sans doute pourquoi je m'y accroche mordicus comme on s'accroche à l'unique et petit pécule qu'on possède. De ces convictions-planches de salut qui aident à se repérer dans un univers difficile, faute de mieux, et, au détour d'une envolée lyrique, aident à exister. A compter, si peu que ce soit.
Je perçois trop l'évidence du collectif, terre d'accueil d'un individu libre et indépendant, pour accepter l'individualisme qui voit l'être humain en perpétuelle et ivre conquête du monde et des autres; j'ai trop accepté l'idée d'un individu universel au sein d'une patrie républicaine et universaliste pour en accepter l'enfermement dans des régions-alvéoles, terreaux de féodalité; l'opposition aux systèmes totalitaires a été mon creuset, effet de ma vie de fils d'un rescapé des pays de l'est dont la famille restait prisonnière de l'Ubu/Kafka stalinien; mais le rescapé polonais qui rêvait de capitalisme occidental en fut une victime, sans doute la raison pour laquelle l'anti-totalitarisme relativisant le capitalisme m'a toujours paru une ignominie.
Et le non-régionaliste ne peut occulter cette idéologie mille fois funeste, sussurée timidement aujourd'hui par Europe Ecologie quand c'était un étendard il y a encore peu, d'une Europe-coalition de régions libérées des jougs nationaux et étatiques.

Je ne sais pas le dire autrement, ni mieux.
Je sais, tant pis pour moi. Ne hausse pas les épaules comme ça, Marceau, ça arrange quoi? J'ai même adhéré à un jeune Parti, numériquement faible, avec une poignée de militants déjà à bout de souffle et des finances déjà au plus bas. Mais, bien pire : en contradiction frontale avec le choix du Maire et de ses proches... dont mon propre Fils.

Le fracas de l'annonce est aujourd'hui retombé sur une Ville tétanisée, si pauvre en échanges intellectuels et politiques et si incapable de saisir l'événement au bond pour, enfin, générer du débat ou de la querelle. Il y avait matière. L'agoniste majeur de l'affaire s'est contenté d'articles de journaux et d'un courrier dans les boîtes aux lettres; ville toujours aussi vouée à la pauvreté entretenue, comme mue par la confiance et la bienveillance mutiques envers son magistrat. Prochaines étapes : la campagne électorale, l'élection régionale.
En attendant : silence.

Du coup, mes oreilles résonnent de deux musiques dissonantes, chacune m'est chère, et mon souci obsessionnel du rapprochement m'a fait les unir pour n'en faire plus qu'une, et aboutir à une idée définitive sur ma petite et modeste pratique militante.

La première est une voisine de palier, une affinité biologique particulière si chère et proche, une sarabande, une fanfare qui zim-boume à chaque double-croche. Elle m'enjoint de troquer mon rétroviseur - en clair, mes préjugés - contre la vision de ce qui vient : une nouvelle écologie politique, subvertie de l'intérieur par ses nouveaux ralliés, reprenant le corpus "de gauche" et cassant les vieilles machines politiques structurées à la bolchévique (dont la mienne...)pour amener une gauche nouvelle majoritairement écolo au pouvoir via des élections primaires.
... Et bing, voilà le Chevalier Bayard déplumé, privé de peurs, de reproches, et de ses toiles d'araignée mythologiques et séculaires : la vieille République incantatoire, le sauvageon, Lénine, la Mère Denis, le nuage de Tchernobyl repoussé par la ligne Maginot... Seule issue : le refuge dans un éco-quartier du Larzac.
L'exécutant de cette première musique, part si intégrante de moi-même, n'imagine pas l'ambivalence étrange de sa partition... Non que sa promesse de renouveau ne me soit chère, après tout c'est son avenir, elle est le terrain de son épanouissement et de sa réalisation, rien qui puisse importer plus; et l'urgence de sauver ce qui peut l'être devrait tout primer. Mais voilà. Le zim-boum, la fougue, l'enthousiasme, on efface tout, on tourne les pages, "ring out the old-ring in the new" et fermez le ban... Est-ce ma partoche décalée, est-ce mon exacerbation maladive, est-ce ma peur d'enfant face à la certitude sans borne et l'absence de tout doute, face à toute marche forcée... Quelque chose me pousse à crier au danger face à un scénario aussi conquérant et parfait.
Voilà que je deviens Jérémie sur les murailles de Jerusalem... Moi. Un comble.
Ou bien est-ce la réalisation de cette infériorité extrême, autrement appelée solitude, pour exprimer des choses si intimement ressenties ?

Et puis, Marceau, une deuxième musique me met en garde. Imagine la scène : mon agit-propard et moi, face à face. Distribuant des tracts l'un face à l'autre ou contre l'autre. Recouvrant nos affiches respectives. Chacun enjoint d'approuver des discours enflammés contre nos deux camps respectifs... Intenable, Marceau, en tout cas pour moi. Raison pour laquelle, mon politiste ayant dégainé le premier et puisqu'il ne peut y avoir de place pour deux dans l'arène, je me dois de lui laisser la place. La musique de fond ? Une béatitude comme Mozart savait bien en faire, mêlée à la Pathétique de Beethoven. Quelque chose de suffisant pour aimer vivre et panser/penser. Qu'une défaite supplémentaire de la pensée ne soit pas une défaite du pansement, et vice-versa.

Voilà, je me mets en retrait du si petit théâtre où j'agitais mon hochet néo-jauressien. Je m'asseois et regarde la roue tourner, tourner, j'aime la voir tourner; je ne suis plus dans le manège, je le laisse aller.
C'est du John Lennon.

Membres

Qui êtes-vous ?

Quelqu'un qu'on sait être qui il est sans se douter qu'il est plus proche de celui qu'il n'a jamais été.