mardi 8 décembre 2009

Arbre fruitier, branche sèche

"Douceur du marché
Violence de la pitié"


Cher Marceau

Ce matin l'esprit a flâné; un peu valdingué aussi, comme beaucoup d'autres matins. Un ciel couvert, une pluie insistante sur les jardins, le spectacle tranquille de la Mère et du Fils qui déjeunent, voilà que le rêve s'enclenche : arrêt derechef des compteurs, temps rebâti au pied d'un arbre, assis sous les rayons d'un soleil timide. Deux yeux à la conquête du plus petit intérêt possible, capteurs de rien ou presque, deux oreilles fermées à tout ce qui n'est pas le vent ou la cavalcade d'un chat sur la pelouse; une sonnerie, l'heure d'un verre en commun autour d'une table.

Mais voilà... Un mort illustre du 8 décembre prophétisait il y a bientôt 40 ans que le rêve était fini. Ah, le canaillou. Non, non, illustre Marceau ! (Oui, toi, illustre aussi. Tu l'eûs été plus en tombant sous les balles d'un déséquilibré au pied de ton immeuble, comme Lennon, mais nul n'est parfait...) Et donc à toi, Marceau, illustrissime inconnu cher à mon passé militant, je précise : il ne s'agissait pas de la mort du rêve socialiste. Non. Plus large, plus complexe. En
1970, l'artiste croulant sous les devises gave ses inconditionnels d'états d'âmes choisis, dans un morceau qu'il intitule "God"; en gros, j'étais un monstre sacré de l'industrie du spectacle, maintenant rangez vos rêves au vestiaire, naphtaline conseillée : je suis moi-même.
C'était deux ans à peine après 1968, six ans à peine avant le démarrage de la mondialisation économique. Etait-il à ce point visionnaire qu'il eut la préscience de deux fins, celle du mythe-déluge d'imaginaire bâti autour de son orchestre, celle aussi de vingt-cinq ans d'après-guerre, prélude à l'entrée dans le tunnel mondialisateur?

Je ne suis pas loin de le penser. Parce que c'était un artiste, précisément, un barde immense et attachant. Le seul à ma connaissance qui, arrivé à trente ans plus riche qu'il l'avait jamais espéré, évoquait les ouvriers, les petits, leurs écrasements, leurs humiliations, comme un froid et triomphant "je ne les oublie pas". Ca s'appelait "Working class Hero".

Je suis sous l'arbre, le Livre à la main.
La chape de fatigue des jours anciens de confusions et d'angoisses se pulvérise dans l'air.
L'envie d'ouvrir les yeux à nouveau et de les refermer à la plus petite envie, sans la dictée du temps.

Tu vois, Marceau, le rêve fini recommence toujours.

Membres

Qui êtes-vous ?

Quelqu'un qu'on sait être qui il est sans se douter qu'il est plus proche de celui qu'il n'a jamais été.