dimanche 28 février 2010

Un mousse

Le mousse savait que la dure vie à bord serait sans certitude, sur lui, sa vie, son retour sur la terre ferme ou non et dans quel état. Revoir ou non ses parents, la belle enlacée et embrassée deux jours avant sur le quai... Il savait qu'il lui faudrait endurer telle autorité orageuse et bienveillante ici, là une vraie félonie tapie sous l'apparente désinvolture, il savait aussi qu'il vivrait tant qu'il croirait en lui, lui seul, et en ce quelque chose invisible qui le plaçait là, parmi ces autres qui ne lui devaient rien et tenaient dans leurs mains les clefs de sa vie ou de sa mort, son équipage, dont il voulait attendre la vie.

Il montait l'escalier qui menait au pont supérieur, résigné à exécuter cet ordre sot de le passer au balai métallique alors qu'une guerre acharnée opposait le bateau et la houle, que la vague hystérique se déversait sur le pont et pouvait bien le précipiter avec elle par-dessus le bastingage.
Il allait le passer, ce balai.
Il se rendait bien compte que la mer ne voulait pas de lui et n'en pensait rien.
Elle déchaînait les vagues, multipliait les creux béants au travers desquels le bateau effectuait un inégal parcours du combattant; ce pont malmené était peut-être sa dernière vision du monde.
Il vérifiait les dents du balai. Se souvenait du refrain de la balade irlandaise qu'elle et lui avaient écoutée la veille de son départ dans un café du port. Et sifflait.
Cette fois, ça suffisait. Il l'avait entendue, elle voulait sa peau, la mer, il allait la lui vendre au prix fort. Le mousse se tenait droit dans le chaos, les mains accrochées derrière lui aux rares rambardes qui longeaient l'habitacle, l'immensité face à lui et le visage agressé d'eau salée. Le mousse respira à fond, ses poumons repus d'air sauvage de l'océan. Son cri fut plus enragé que toutes les rages de l'Histoire humaine, la mer s'entendait dire les quatre vérités cinglantes d'un mousse qui n'avait que son balai métallique, un ordre à exécuter, sa belle à quitter si la mer le voulait.
D'un mousse qu'un chagrin de la belle, qu'un mal même infime de ses parents impressionneraient toujours plus que la vague rebelle et mortelle.

Son cri fut entendu de tous les vents et perça la vague en son flanc.
De ce jour, la mer et les autres éléments savaient que la vie et la mémoire du mousse seraient plus fortes qu'eux, à jamais.

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