lundi 28 septembre 2009

Des primaires (déprimantes?)

"Tant qu'il y a de la marche, il y aura du marché"

Il n'est plus de gauche que spectrale, fond sur l'Europe le fantôme de ce qui fut une grandeur humaine : de hautes idées solidaires et fraternelles innervant des Peuples, une fierté individuelle collective et contagieuse de les servir et les défendre ensemble, qui réalisait la soudure de tant de gauches différentes, le rassemblement républicain et l'appropriation de la Nation... Tant de fourvoiement social-démocrate, libéral, obsédé de pragmatisme a pour longtemps disqualifié la gauche de l'après-guerre froide; celle-ci, en France en tout cas, n'en a pas eu assez : en sur-gérant les enjeux électoraux, présidentiel en particulier, en désertant un front capital qui devrait capter sa combativité et son intelligence, l'entreprise, la gauche française court toujours après son effondrement définitif.

Tirant la leçon de leur désarmement théorique et idéologique, certaines gauches se sont emparées avec brio du seul domaine que la mondialisation libérale leur a concédé : le sauve qui peut.
Sauve qui peut la ville, sauve qui peut le chômage. La défense du patrimoine social et culturel, fruits de deux siècles de construction héroïque, la recherche d'un modèle urbain équilibré, se heurtent à un courant compulsif, attisé par le capitalisme, d'individualisme et d'insouciance de l'environnement naturel et humain, menaçant la solidarité, la répartition, la recherche mordicus et simultanée de bonheurs individuels et de solutions collectives aux problématiques et contradictions de la vie. C'est ainsi qu'une gauche "de terrain" réalise des miracles, contient les digues économiques, sociales et urbaines à bout de bras et de volonté; c'est ainsi que des milliers d'exemplarités locales sont et demeurent leur propre fin, et s'interdisent de constituer un modèle. Car pour une gauche mentalement vaincue et désertée par la fierté, tout modèle est par avance suspect.

Parallèlement, dans une précarité sociale en généralisation, les salarié(e)s, en particulier bénéficiaires d'un CDI, se convainquent de leurs privilèges : après tout, ils travaillent, leur salaire "tombe". Tant et tant de politiques de gauche ont assez ingurgité la doxa libérale des années 80 qui a fait de l'entreprise une vache sacrée, ils ont trop sur la conscience le chômage de masse, pour ne pas éprouver de lâche soulagement, muet, honteux, en sachant tous les matins des salarié(e)s en route vers les entreprises. Manuel Valls le rappelait encore, le jour d'un suicide à France Télécom : "C'est l'entreprise qui créé la richesse". Fermons le ban.

Nul doute que le combat contre le chômage soit une priorité absolue, pas moins de doute qu'il faille recréer de l'industrie et des emplois salariés; encore moins de doute que trop peu d' écharpes tricolores d'élu(e) s fréquentent les sorties d'entreprises, pour parler aux salarié(e)s, constater combien, sous la pression économique, la qualité du travail, leur moral, se dégradent, combien se creuse l'indifférence à l'égard d'un monde politique de gauche oublieux de ses devoirs, et combien les salarié(e)s s'en remettent à l'idéologie dominante, celle de la compassion puis de l'investissement total dans l'entreprise au risque d'y laisser leur vie privée, pour se tracer un horizon, se sentant déliés de leurs obligations citoyennes et plus largement politiques. L''effondrement qui guette la gauche, s'il en reste une en dehors des composantes de l'"autre gauche", c'est celle de la non-perception définitive de son discours par sa propre base sociale théorique.

Pire : hormis des sociologues ou sondagiers apointés, plus personne dans la gauche officielle ne se donne la peine d'émettre un diagnostic de malaise social, la consommation de psychotropes n'est que statistique récurrente, comme les dépressions en chaîne, le temps et les moyens de voir venir les suicides liés au travail sont un luxe que nul n'est plus en mesure de s'offrir. Après tout, tant qu'il y a production, il y a de la vie et de l'espoir.
... Et puis, les salarié(e)s ont des syndicats. Laissons-les se débrouiller entre eux, tel est en substance le message de nombre de hiérarques "de gauche", qui oublient le faible nombre de syndiqué(e)s, le surmenage des élu(e)s, leur liberté syndicale à conquérir tous les jours face à des DRH de moins en moins souples.

Un signal fort est venu des élections européennes, quand des candidat(e)s, en particulier de "l'autre gauche", sont allés aux portes d'entreprises menacées de fermeture ou de restructuration forte pour dresser des passerelles entre les discours des salarié(e)s et les leurs. En passant par des sites non-menacés. En s'intéressant à l'inquiétante expansion des nouvelles industries du tertiaire, telles les plateaux d'appel, productrices de précarité, de caporalisme social, d'humilations et de stress, pour des salaires dérisoires. Un modèle, celui-là, sûr de lui et dominateur.
L'"autre gauche" se doit de poursuivre dans cette voie, pour que l'exigence d'amélioration du travail, pour que les rapports de force dans l'entreprise, restent un apport prioritaire dans son discours économique. Ainsi elle recommencera à unir à elle tant de ses électeurs qui se sont détournés de toute gauche par crainte de l'abandon. Ainsi les choix électoraux ne reposeront plus sur des débats techniques mais sur un contenu politique.

C'est bien à ça que doit se consacrer une base politique de gauche, plutôt qu'à s'abîmer à gâcher du temps et de l'énergie à déterminer les formes de la désignation d'un candidat à la présidentielle. Une certaine gauche ne doit plus aspirer à sa disparition mais à repenser un modèle de gauche. Et il y a du travail.

Membres

Qui êtes-vous ?

Quelqu'un qu'on sait être qui il est sans se douter qu'il est plus proche de celui qu'il n'a jamais été.