"Le marché est aux puces ce que le veau est à la paupiette"
Message comminatoire du Parrain officieux du blog, Marceau Pivert, reçu ce matin :
"Vous nous cassez les pieds, Monsieur, avec ce blog où reviennent pêle-mêle vos souvenirs de militant, vos petites tortures morales et, surtout, ces allusions à cette ville de Sevran que personne ne connaît! Ces techniques de communication modernes, qui paraissent se jouer de la tutelle des PTT, vous permettent d'allonger cent bétises à la ligne et à la seconde sans que vous vous souciiez le moins du monde de leur lisibilité.
Sapristi, si j'ai un droit, en tant que parrain républicain mais involontaire de ce "blogg", c'est bien de savoir ce qu'est cette ville de Sevran.
Veuillez agréer, Monsieur..." etc...
Comme il y va.
Avant d'aller sur ce terrain, une incise urgente :
Marceau, la crise qui nous frappe a une odeur de plus en plus fétide.
Ca licencie à tour de bras, partout. Grave, en soi, si on en juge par les fortunes amassées par les entreprises qui licencient et les légitimes indignations que ces licenciements suscitent. Mais plus grave encore, Marceau, et ça va te parler :
la désillusion, le désespoir, la rage parfois, montent chez les victimes des "restructurations" (dieu que le mot est donc doux). Et pour cause : au-delà de l'injustice de la situation qui leur est faite, il y a la totale vanité des formations et reclassements qu'on leur propose, la quantité d'emplois disponibles, surtout industriels, s'amenuisant au point d'anéantir des "bassins d'emplois" (autre beauté du langage économique) aux effectifs les plus nombreux.
Marceau, ils disent qu'ils n'ont rien à perdre. Ca t'a une odeur de radicalité qui se déploie comme la nuée.
Avec cette question essentielle sur la capacité de la gauche politique et syndicale d'apporter réponses et propositions assez convaincantes pour rassurer les salarié(e)s, si peu que ce soit, et maintenir de la raison là où l'exaspération gagne légitimement.
On sait qu'une gauche digne de ce nom se battra sur les idées qui fondent son existence : la redistribution des richesses et le maintien (voire le développement) des services publics.
On peut rêver qu'elle en profite pour délivrer un message républicain sur l'urgence de la citoyenneté, et sur ce vivre ensemble fraternel, universel et creuset de l'internationalisme qu'on nomme Nation.
Une parenthèse pivertienne
Autre question, sans trop de lien avec ce qui précède, qui germe dans l'esprit du rédacteur, à 22h40 ce jeudi 19 mars : lorsque tu es revenu à la SFIO, après-guerre, était-ce dans l'esprit du "A l'échelle humaine" de Blum? Une inflexion politique et philosophique, explicable par le poids du PCF et son positionnement politique dans la guerre froide, et la crainte d'issues révolutionnaires incontrôlables aux conflits sociaux, très nombreux après-guerre? Une discrète attirance pour la démocratie chrétienne, perceptible en filigrane chez Blum et toujours en lien avec la guerre froide?
Mais non, Marceau, la question ne vaut pas jugement politique! Encore moins procès ! On n'est plus en guerre froide !
Je pourrais comprendre que tes rapports orageux avec le PCF avant guerre, l'assassinat de Trotsky, et le déploiement du stalinisme soviétique aient aiguisé ta méfiance, puis ton adversité vis-à-vis des communistes après la libération; c'est arrivé à bien d'autres (dont certains fondateurs du futur PSU, mais aussi des trotskystes. On pense à Boussel, Broué, beaucoup d'autres).
C'est bon, je remballe ma question.
Dis, Pivert, les réunions du PSOP n'ont pas dû être une partie de plaisir tous les jours...
ON FERME LA PARENTHESE - RETOUR A SEVRAN
Tout en haut de la page, c'est la carte de Sevran.
Tu l'as remarqué aussi : Sevran ressemble à Paris.
Enfin, sur la carte. Dans la réalité, il y a de la marge, pour sûr.
D'emblée, ce constat sans plus d'appel que de justification : Cathrine et moi aimons Sevran.
Le fait d'y vivre depuis 23 ans, sans doute.
Et une part d'attachement irrationnel vis-à-vis d'une Ville qui n'a rien d'attachant.
Rien?
Mazette. Vite expédié. Revenons-y (ci-dessous, c'est Sevran fin XIXème siècle).
Sevran attire par et pour son Histoire.
Difficile et fastidieux de faire état de presque trois siècles de Sevran (et puis tu t'endormirais. Oui, bien sûr, les autres aussi); l'Histoire d'autres villes peut s'être figée à une époque ou une autre, la marche historique de Sevran, elle, est continue, depuis ses premiers atours de village (début XIXème semble-t-il), son développement comme ville du nord-est de Paris à dominante rurale, devenant industrielle au XXème siècle (Kodak, Westinghouse), fondue dans les "banlieues" fin des années 70 et, depuis, en re-définition permanente sous la contrainte économique : Kodak et Westinghouse ont disparu, les barres d'immeubles ont poussé et acceuilli des populations précaires, les ressources se sont taries; une ville en quête permanente de nouveaux dynamismes et de droit à la pérennité. Le Maire actuel, on en parlera plus tard, y consacre à peu près sa vie (l'expression "Sevran, ville du monde" ci-dessus est de lui).
Ce qui attire... Peut-être l'effet village gaulois. Toute la Gaule est tétanisée. Toute? Non! Une ville de l'ex seine et oise, aujourd'hui seine saint denis, résiste tant bien que mal à... tout. A l'économie. A la violence urbaine et sociale latente. A l'indifférence et au vide.
Il y a cette obstination d'une part de cette ville moyenne de banlieue ("moyenne" et "banlieue", deux mots qui suffisent à te déclasser une Ville pour longtemps) à rester villageoise.
Sommeille dans la Ville l'esprit du village qu'elle a été. Les décennies et des conneries urbanistiques n'en sont pas venues à bout. On doit être quelques-uns à se projeter dans ces atômes d'ancien, autant de refus souterrain de tourner la page.
Il y a des communautés.
Puzzle vertigineux, Marceau! 150 ou 170 nationalités différentes composent une population de 50 000 habitants. Le "vivre ensemble" a du sens. Intégrer sans moyenniser ni réduire, ça te fait une politique publique. Croiser dans la même journée tel tunisien, tels araméens, telles italiennes, tels chinois, des sri-lankais, des thaïlandais (nos voisins), dans une Ville construite par des arméniens, des polonais...
On ne décide pas de se prendre de passion, on se constate passionné. Pour ce qui concerne Cathrine et moi, par une hâte irraisonnée de quitter Paris après des heures de travail pour retrouver Sevran. On en rirait. Mais non, nous aimons revenir à Sevran, en tout cas dans cette partie sud proche du canal de l'Ourcq et du parc national forestier. Qu'en serait-il si nous vivions aux Beaudottes? Excellente question qui restera sans réponse, on la devine bien.
Court aperçu des Beaudottes.
Chaque pierre de ces édifices a des allures de pied de nez ou de bras d'honneur pour les habitants. "Tu as voulu venir ici? Bon courage."
Va contre un message comme ça...
Non, ce n'est pas seulement ça qui donne envie de traiter de cette Ville.
Peut-être aussi ça.
Tu parcours négligemment une rue pavillonnaire et ses mille et uns pavillons, à peu près tous semblables. Comme partout. Et soudain, devant toi, un cube de béton gris, lourd, planté là on ne sait comment ni pourquoi. Du pur cubiste, sans doute du Bauhaus.
C'est ça aussi, cette Ville.
Elle arrive à surprendre par un détail, de l'inattendu, quelque part, n'importe-où.
Il y a surtout ses habitants. Gros dossier.
Mais on en reste là, pour le moment.
C'est samedi, Marceau Pivert, il fait beau. Oui, les arbustes continuent leur croissance; le mimosa de la cabane, que Cathrine croyait vaincu par le froid et le gel, renaît peu à peu.
Et je vais me promener.